Tout animé du rêve prométhéen de changer l’homme, de le déconstruire méthodiquement pour le libérer de tous les déterminismes qui l’enchaînent, physiques, matériels, sociaux, cognitifs, pour effacer le passé et sur une page blanche tracer le grand dessein de l’émancipation universelle, le marxisme aura réussi un programme exactement inverse : détruire la société, l’atomiser, la pulvériser, la réduire à une collection d’égoïsmes qu’aucun ciment ne tient plus ensemble. Ainsi la gauche aura-t-elle réalisé le programme libertarien extrême que promouvaient Ayn Rand, Margaret Thatcher, Ludwig Von Mises, Friedrich Hayek et aujourd’hui Javier Milei ou Donald Trump.
Fondé sur la solidarité des classes exploitées et l’idée que l’homme n’est rien sans son inscription sociale, qu’il est l’un des lieux d’un continuum plus grand que lui – la société, l’espèce – le socialisme aura en cours de route perdu tout orient pour dériver dans la direction opposée et se ranger aux intérêts d’une classe dominante convaincue que la singularité individuelle constitue un apex métaphysique, classe qui par ailleurs a intérêt à la désagrégation sociale.
Et c’est bien ce que l’analyse des composantes démographiques de la gauche montre, seulement peuplée d’universitaires, d’énarques, d’industriels, de fonctionnaires, de privilégiés. Dans ces conditions, voyant bien qu’elle n’est nullement représentée, mais au contraire méprisée, que ses intérêts économiques objectifs sont foulés au pied – zones à faibles émissions, portiques de taxation des véhicules, immigration illégale constituant une atteinte directe aux intérêts économiques des classes les plus modestes – alors nulle suprise que la plèbe se tourne vers les sirènes menteuses de l’extrême droite. Il plaît au bloc bourgeois de penser qu’Hitler parvint au pouvoir en raison de l’imbécillité des masses. Mais qui avait rédigé les clauses léonines du Traité de Versailles qui conduit plusieurs décennies plus tard à la misère populaire ? L’exacte même chose se déroule aujourd’hui. La misère populaire jette la populace dans des bras fanatiques, mais les raisons pour lesquelles elle le fait appartiennent entièrement aux élites bourgeoises auxquelles collent encore, par simple rémanence, l’étiquette de gauche