faillite morale de la démocratie

Aristote et Platon, tous deux membres de l’élite athénienne, craignaient par dessus tout les promesses de quelque führer ou leader populiste qui entraînerait une population subjuguée vers l’aventure politique, la jacquerie, l’incendie. Telle fut aussi la crainte des pères de la démocratie américaine. La révolution française, fille des Lumières, fit le pari d’une démocratie populaire. Bien qu’initialement restreinte à une élite éclairée bourgeoise remplaçant la noblesse, la condition sine qua non de son maintien et de son avenir était l’élévation continue des esprits de tous et de chacun, avec comme corollaires nécessaires la liberté d’information et de parole, de réunion, de débat.

Mais le terme élite est vague et polysémique : il peut exister des élites morales, des élites marchandes ou financières, des élites militaires. Or du point de vue des élites morales, celle militaires ou commerciales n’en sont point, voire leur antithèse. Ainsi l’Eglise réclamait la paix dominicale, condamnait les exactions du puissant envers le faible, le prêt d’argent: le temps appartient à Dieu seulement.

Aujourd’hui les élites morales, ont été balayées: l’élite commerciale et financière tient le haut du pavé. Ce qui distingue les élites morales des autres est la richesse et l’ampleur de leur culture et conséquemment la relativité de leur point de vue, leur aptitude à voir derrière l’horizon du quotidien ou de la durée d’une vie, leur aptitude à penser contre elles-mêmes.

Or, elles sont aujourd’hui parfaitement discrédités, tenues pour incompétentes dans la sphère pratique, fumeuses, sans contact avec le réel. Seul l’Islam rigoriste souhaite les réhabiliter ou les maintenir.

A l’inverse le capitaine d’industrie est vu comme une forme de héros, même si sa pratique le rapproche plus d’un Mengele. Quant aux élites politiques, leur mode de désignation – électif pour les « démocraties »,  cooptatif pour les régimes autoritaires (la réalité pratique loin de ces termes polaires étant un mélange des divers ingrédients) – sélectionne les plus avides de pouvoir, ceux ayant prendre une revanche sur la société ou contre leur propre folie: bref, les plus tarés.

Ainsi l’avidité, principal moteur des élites marchandes ou financières, est une forme de régression bien peu propre, tout au contraire, à éclairer les destinées humaines. Voilà pourquoi, dans les arts, en philosophie, ou leurs ersatz contemporains, le médiocre qui sied aux esprits médiocres a bien plus de chance de succès que le talent. Et  ce d’autant plus que ce médiocre bénéficie du formidable tambour de résonance des médias de masse peuplés de journalistes falots, appréciant l’éthique à l’aune de leur myopie.

La perspective démocratique a donc connu un retournement complet, puisque l’objectif des élites marchandes (ou  technique, la technique étant par trop le bras armé de l’argent) n’est plus du tout l’éclairement de la population, son élévation, mais bien le profit qu’elles peuvent réaliser sur l’exploitation de son abêtissement, l’encouragement systématique de ses travers, tares de comportement et biais de cognition : économie de l’in-attention, temps de cerveau disponible, manipulation de masse des affects, comportements, représentations : ceci ne peut que mener à la catastrophe.

A écouter sur le sujet, en remerciant SLP pour cette pertinente suggestion: Benda « La trahison des clercs », France Inter, 2022