protéodies

L’ouïe n’entend qu’au travers des préjugés et des filtres de la culture, des écumes desquels nous affranchit la musique. Par delà les époques et les identités, elle coud, libre d’époques et de frontières, un point de capiton entre des mondes distants, ressuscite l’ouïe, la voix, les doigts des musiciens morts, y synchronise le vivant dans un commun virtuel présent.

Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre tandis que le cœur de la mère est le premier métronome cymbalant à l’oreille du foetus. Clappe rythmique, cadence, contre-cadence, claquement des bâtons de musique, halètement du didjeridoo, scène totale du rite ou geste et symbole, bouche et âme, physique et métaphysique, parois de pierre et tétons de calcite, partagent une même substance, tandis qu’approche une joyeuse troupe préhistorique, enfants, femmes, nourrissons dans le dos, battant des paumes l’eau, poussant le poisson dans la nasse de fibre.

Premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs. Ils sont chez le bipède l’équivalent des chronicités animales, des symphonies coassantes, des vagues orchestrales des cigales orientales. Ils évoquent dans l’ordre sonore l’ovulation simultanée des harems animaux ou des femmes qui cohabitent. C’est la course parallèle des cerfs en rut, qui en une volte sublimement synchrone affrontent leurs ramures.

Le rythme s’inscrit d’abord dans le métabolisme du muscle. C’est le souffle-cri des rameurs abyssins de Montfreid, expirant en cadence ployés sur l’aviron.  Chant d’effort inscrit à la racine du corps tout coloré de culture. C’est l’ahan des souqueurs, l’aria des tractions et détentes alternées des bras, épaules et coeur. C’est le répons choral qui soutient l’effort de la houe et l’arc-boutement des reins. Temps métabolique que l’animal à l’arroi, buffle masaï ou peuhl, bœuf picard, au labeur difficile, endure les yeux mi-clos et comme méditant que pousse la mélopée du bouvier traçant le sillon.

Danses, rondes et transes accompagnent l’homme depuis qu’il naît à lui, héritage de si loin qu’on n’y saurait trouver ni terme ni origine. Longtemps, la mystique se nourrit du geste, trivial, poétique, acrobatique, astucieux, laborieux, dont le corps est le mètre, dans la boucle des jours sous la voûte tournante des cieux.

Dans nos villages, encore sans clocher, le veilleur souffle sa corne pour avertir de l’aube revenue. Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs, la lassitude du corps demandant sieste et repos. Salubres courbatures de l’histoire immobile quand l’éreintement moral guette l’homme moderne qui ne connaît plus de raisons à ses jours faute d’encore être maître du temps.

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