In extenso

Mayotte, social-racisme et droit des peuples à l’autodétermination

Message à M. le maire de Mamoudzou, Mayotte

Monsieur le Maire,

Suite au message révoltant de M. Le Bras sur France Inter ce matin, doutant que les Français de Mayotte soient des Français authentiques, niant le droit d’un peuple à l’autodétermination et rejoignant ainsi MM Poutine et Xi Jinping dans la négation des droits des peuples ukrainiens ou taïwanais, j’adresse tout mon soutien à la communauté française de Mayotte et dénonce avec vigueur le racisme déguisé en bien-pensance  de M. Le Bras et d’une bonne partie de la « gauche » de trahison.

Bien sincèrement,

Etienne Maillet

Immigration : « On ne peut pas parler de submersion » en France, estime le démographe Hervé Le Bras. A écouter le passage concernant Mayotte ici (vers la fin de la séquence)

PS: dans mon indignation, j’ai oublié de citer Donald (pas l’amie de Minnie) aux côtés de Xi Jinping et de son ami Vladimir pour son désir d’annexer le Groenland voire le Canada. Je prie Donald de m’excuser…car il le vaut bien !

ouïr et durer

Qu’est-ce qu’un son ? Qu’est-ce qu’entendre ? Quels longs chemins évolutifs nous ont-ils menés  jusqu’à ce point où nous jouissons de la musique dans le pur plaisir du massage vibratoire ? De cette émergence, comment rendre compte dans la plus grande exigence méthodologique, c’est à dire en posant a priori le nombre le plus réduit possible plus d’hypothèses et de catégories, en utilisant le moins d’axiomes ? Pour étudier la question de l’ouïe, nous nous interdirons de juger à rebours. Nous devrons tenter, autant que faire se peut, de feindre ignorer ce qu’est un son, ce qu’est la musique, ce qu’est l’entendement qui l’interprète. Plus glabre la tabula rasa d’où s’élance la question, plus dégagé l’horizon de la conjecture.

Nous nous interdirons de poser a priori, préexistant au stimulus, tout entendement, fût-il seulement un moule neutre et passif. Nous nous interdirons le credo qui ferait de l’entendement une instance préfabriquée qui n’attendrait que l’impression, le stimulus, la sensation pour construire le sens, pour  percevoir, comprendre. Nous interdirons de poser à priori  les catégories même de l’espace et du temps, de l’avant et de l’après, de la cause et de la conséquence.

Nous admettrons toutefois – car il faut bien admettre quelque chose pour connaître quoi que ce soit, ne serait-ce que le cogito même nimbé de brumes comme chez les animaux – que le sens se forme au contact – de quoi, comment le dire ? – et que de ce contact résultent les phénomènes. Au nombre de ces phénomènes, il faut compter tous les objets, toutes les images, toutes les représentations internes comme externes qui informent ces corps. Représentations en effet, car s’il est vrai que l’univers entier est construit sur la soupe quantique virtuelle, si l’observable entier est un brouet vibratoire, il n’y a ni moyen ni lieu de distinguer l’objet et son image, la matière et l’esprit, le sens et son contenant. Sur quelles bases sensibles assurées devrait-on admettre sans douter la partition des phénomènes en deux espèces a priori distinctes, la matière, et l’esprit ? 

Or la matière pourrait-être une fiction sans pour autant nier le réel. Pour le matérialisme, la matière possède une réalité propre, externe. Schopenhauer nomme idéalisme matérialiste cette posture métaphysique a priori. Bien qu’elle traverse de part en part toute la science contemporaine, elle est rarement reconnue pour ce qu’elle est : une hypothèse implicite, aveugle et muette comme l’évidence, c’est à dire arbitraire. Hypothèse qui est de l’ordre du credo, de la foi, de la naturalisation phénoménale comme l’histoire en montre des exemples à foison, telles ces dynasties filles du soleil : le pharaon Akhénaton, fils de Rê, ou Louis XIV, le roi soleil, pour ne citer que ceux-là.

Le réel, à l’inverse, désigne la sensation au contact d’un hors-soi à jamais inconnaissable. Il y a un hors-soi, quelque chose plutôt que rien, stable et résistant. Impossible de le nier. Mais ce réel n’est jamais autrement perçu qu’à sa limite, à sa frontière, à son interface avec un percevant doué de la capacité de se relier au monde. Le type de cette interface est simple : je frappe dix, vingt, trente fois contre le mur et à chaque fois je souffre. La seule chose dont je sois raisonnablement sûr est cette douleur, non pas ce mur, sa forme, sa couleur, sa texture, toutes informations que je n’acquiers que via les sens et l’entendement.

Nous montrerons que quelques forces simples seulement, mais constamment rejouées au cours  de la complexification du vivant rendent compte sans mystère du passage de la sensation primitive affectant la bactérie au sens, à la culture, à la musique. Si le monde nous apparaît d’une si stupéfiante et complexe simplicité, c’est seulement qu’à l’instar de l’éphémère ailé, il inonde l’esprit l’instant d’un clin d’œil puis plus rien. Ou bien encore à la manière de la télévision, qui montre des spectacles quand il ne s’agit que du déplacement trop rapide pour être saisi – hors du domaine humain – d’un point lumineux, et quand encore ce spectateur n’a pas étudié la mécanique ondulatoire.

Puisque nous nous astreignons à la frugalité logique, nous devrons construire de manière crédible l’espace, la durée, la causalité que nous ne posons pas à priori. Crédible, c’est à dire conforme à l’expérience, aux résultats expérimentaux reproductibles et en accord global avec les théories scientifiques contemporaines venues de divers cadrans de la connaissance : théories de  l’esprit (sciences de la connaissance, neurobiologie), logique naturelle et cybernétique (oscillateurs stochastiques),  biologie, éthologie, écologie, anthropologie, physique (relativité générale, mécanique quantique),  théorie des nombres, théorie des graphes, fractales, topologie, chaos stochastique, flux et attracteurs, hologramme, théories morales et politiques.

Le futur a rebours

Le jugement à rebours que nous nous efforcerons d’éviter, qui plaque sur le passé les conditions du présent, est un piège redoutable d’une occurrence fréquente. Ainsi en anthropologie, l’homme ancien n’est trop souvent dans l’esprit de ceux qui y songent, qu’un homme moderne ayant vécu longtemps avant le penseur contemporain. Il ne lui manquerait pour être actuel que les connaissances accumulées entre temps: il suffirait de remplir un vase dont la forme est donnée une fois pour toute.  Remplissage de connaissances tout extérieures d’un esprit qui subjectivement ne différerait en rien du nôtre

Mais est-on si sûr que les contenants de jadis et d’aujourd’hui sont vraiment les mêmes? L’homme ancien partageait-il avec nous les mêmes catégories, fussent-elles aussi fondamentales, triviales ou évidentes que l’espace, le temps, le passé, le futur ? Ou bien ces catégories ont-elles elles-mêmes une histoire, un développement ?

Si l’esprit n’est qu’un contenant à la forme définitive n’attendant en pure neutralité que d’être rempli, si Athéna naît toute cuirassée du crâne de Jupiter, il faudra alors  admettre qu’avant la parole la pensée allait son train selon les mêmes modes qu’aujourd’hui. Et puisque les animaux ne sont pas doués de langage, il faudra également admettre qu’en deçà de leur mutisme, leurs pensers ne diffèrent pas des nôtres. Or si dans une certaine mesure on peut l’accepter des primates, il faudra également par récursion considérer que les catégories subjectives de la limace ne diffèrent pas des nôtres.

Or c’est bien le contraire que présentent avec une évidence croissante les disciplines de la connaissance. Le cortex, cette instance supérieure de la cognition où nous logeons concepts et pensée réflexive, a une histoire comme ont une histoire parallèle et intriquée les réflexes,  sensations, émotions, gestes, images. Comment dès lors pensait-on avant le langage ? Comment communiquait-on ? Quelles images se formaient-elles dans l’esprit ? Or si le sens s’applique sur le corps, s’il se confond avec lui, il n’y a plus dès lors de monde extérieur autonome et directement accessible. Il n’y a plus d’outre-là qui contiendrait plus de vérité qu’en-deçà. La perspective est effrayante car elle interdit tout naturalisme, toute vérité extérieure et renvoie directement l’homme à sa solitude ontologique. Et c’est là probablement la raison pour laquelle l’homme préfère rester aveugle à l’idée que n’existe en dehors de lui aucune raison certaine.

L’un des lieux encore où se manifeste avec le plus de vigueur l’illusoire l’interprétation à rebours si  lourde d’inconséquences philosophiques, scientifiques et pratiques est le big bang. Non pas le fait réel. Non pas les mesures probantes répétées depuis des décennies. Il ne s’agit pas de nier quoi que ce soit des mesures expérimentales. Mais bien de questionner l’interprétation qui en est donnée. La critique interne de la théorie elle-même invalide l’interprétation triviale du big-bang comme origine. La relativité indique en effet que lorsque la densité d’énergie du milieu est extrême – situation qui était celle présidant au big bang à  t0+ ε– le temps relatif est extrêmement « ralenti » voire cesse de couler. Or si des durées relatives ne coulent pas ou pratiquement pas, il faut en conclure qu’elles n’ont pas cessé de ne pas couler ou de couler infiniment lentement.  C’est proprement ce que dit la théorie : divers temps relatifs coexistent dans l’univers. On ne peut pas ne pas en conclure que ces durées sont coexistantes à notre présent terrestre local et non pas passées comme on l’entend souvent dire. Conséquemment le big bang n’est pas un passé mais bien un actuel. Ou dit autrement, il n’y a pas de durée derrière le mur de Planck.

On ajoute une couche encore d’absurdité interprétative quand prenant le train du temps à l’envers on prétend « voir » l’univers quelques « instants » après le big bang. Or quelques « instants » après le big bang, aucun humain n’existait. Il n’y eut donc jamais de situation dans laquelle un œil vît l’univers en ses balbutiements[1]. Si bien qu’affirmer que l’on aurait saisi quasi photographiquement l’univers en sa gésine – 380 000 ans « après » le big-bang – relève d’une interprétation de mystagogues pataphysiciens aux dessins ultérieurs.

Or la théorie stricto-sensu fait du big-bang l’initiateur de la durée et la condition de possibilité de l’étalon qui la mesure, l’année (qui est rappelons-le une circumambulation terrestre autour du soleil bornée par deux solstices). L’erreur consiste ici à confondre prémisse et dérivée, à expliquer la cause par sa conséquence. Erreur au fond identique à celle par quoi il est souvent affirmé que les lois physiques sont symétriques par retournement du temps : t(L)=-t(L) (où t est le temps, L une loi physique quelconque). Or c’est tout simplement là tomber dans la fiction d’une proposition logique suspendue hors du temps et hors de toute conscience, qui toutes sont vivantes et mortelles[2].

La durée et ne saurait être la cause de ce dont elle est conséquence. Nous tenterons dans cet essai de ne pas succomber à l’erreur consistant à penser le passé depuis les cadres mentaux du présent. Tâche ardue et presque impossible tant le langage, naturelle, symbolique, mathématique – et l’entendement sont eux-mêmes inextricablement et d’emblée engagés dans la temporalité.


[1] Voir notre texte « Un poil après le futur »

[2] On pourra se référer ici aux considérations d’Alain Connes sur les espaces non commutatifs


Presque rien, moins que tout

Ces bases posées, nous allons au moyen d’une expérience de pensée tenter d’analyser  ce qu’est un son et ce mystère par quoi la musique nous enchante.

Imaginons le plus infime des animaux de la plus extrême simplicité : cellule unique, pas même nécessairement eucaryote, peut-être même dépourvue d’enveloppe. De tels organites  peuvent aujourd’hui s’observer dans d’infimes diverticules argileux ou des minuscules vacuoles liquides telles qu’en recèlent les glaces polaires ou d’autres micro-milieux. Les connaissances actuelles tendent à y reconnaître de possibles sources de la  biosphère.

Image: Protist Paramecium aurelia with contractile vacuoles (source: Wikipedia). La structure ici présentée est déjà extrêmement complexe en comparaison de l’organite imaginaire utilisée dans notre démonstration. Toutefois, au sein de cette structure, les vacuoles contractiles (traits noirs), réagissant à l’équilibre osmotique, ont un comportement proche de cet organite imaginaire.

Simplissime, notre organite peut-être archaïque tout aussi bien que parfaitement contemporain.  Nous allons suivre en pensée ses avatars ontologiques. Cet organite n’a au départ pas de compétences. Il est au surplus dénué de tout organe des sens, de tout sens de l’espace et de la durée. Rien ne lui indique qu’il est. Pour cet animalcule, dont la masse est si faible, le milieu cyclique qui le baigne est relativement extrêmement énergétique et puissant. Une simple onde acoustique en modifie la pression interne.  Outre cela, il subit un intense pilonnage photonique ;  les rayons cosmiques le bombardent ; le flux et le reflux des marées gravitationnelles en barattent les entrailles, tandis qu’alternent obscurité et lumière, canicules et frimas, que changent incessamment  salinité, hygrométrie…

Ces influences externes constituent, eu égard à la ténuité de notre ciron, de formidables facteurs perturbateurs. Elles sont, toutes proportions gardées, comparables à l’action de ces grosses planètes capables de malaxer les entrailles de leurs satellites au point d’en fondre les minéraux en magmas éruptifs.  Tel est le rapport gigantesque entre l’organite et l’univers. Telles furent, ou plutôt telles sont, les prémisses de la vie. Telles sont et non telles furent, car, on le verra, le passé est nécessairement postérieur au présent.

Donné le gigantisme des rapports entre sujet – notre organite –  et objet extérieur (tout le reste), les rapports entre fréquence propres du ciron et fréquences externes incidentes sont des « percepts » presque immédiats. L’extérieur malaxe directement le corps de l’animal. La sensation de « l’extérieur » est ainsi presque directement intuitionnée.

Or le jeu de ces influences – cosmique, stellaire, gravitationnelle, climatique, thermique…-  triturant intimement la substance de l’organite, ne peut manquer de déterminer cycliquement des états remarquables selon que les influences incidentes sont en opposition ou bien en conjonction de phase avec la fréquence propre du ciron, amplifiant ou au contraire amortissant tel ou tel phénomène ou réaction métabolique, déterminant  polarisations, conjonctions de phases, unissons, points d’orgue, bonaces.

D’emblée se singularisent certains régimes vibratoires : ainsi l’unisson quand intérieur et extérieur résonnent selon une proportion entière, 1,2,3… L’animalcule ainsi probablement déjà « connaît » comme sensation l’octave, le double, dont le type est un rapport de sympathie entre fréquence propre et fréquence du tout environnant quand le corps de l’animalcule vibre en harmonie avec le milieu qui le baigne.

Ainsi quelque sens  du rythme et du nombre – la même chose au fond – apparaît ainsi dès la bactérie. Deux sons résonnant à l’unisson, ou bien selon des périodes doubles (à l’octave), manifestent à l’oreille humaine le nombre entier ou réel. La notion intuitive du double – 2 – de la moitié – ½ –  est là tout entière en gésine. Voici naissant les nombres entiers, écho des rapports triples, quintuples, septuples… entre fréquence propre de l’organite et fréquence incidente.

Nul besoin donc de  présupposer le nombre comme être ou existant, comme idée platonicienne : il est d’abord rapport sensible, intuitionné de deux grandeurs, chacune en elle-même incommensurable.

L’ouïe, fondamentalement, est une « capacité de calcul ». Elle compare un champ vibratoire interne, présent déjà aux niveaux les plus fins et le champ externe, qui s’étend du très proche jusqu’aux confins de l’univers. Toutefois, il ne peut se concevoir qu’aucun hiatus ne sépare l’organite de l’univers. Les rapports entre l’organite et son environnement sont « presque » immédiats, « presque » directs, et d’autant plus que les fréquences propres relatives de l’animalcule et du milieu englobant approchent de l’unisson. Presque : car sans ce « presque », fût-il epsilonesque, l’englobé se confondrait avec l’englobant et ne pourrait constituer un objet. Ce n’est que parce qu’entre l’univers et le percevant se maintient une tension, une différence, un soupçon d’altérité au moins, que le percevant justement se distingue du reste de l’univers. A défaut d’une singularité, il n’y ni percept, ni percevant.

Réduite à l’os, cette différence entre fréquence propre de l’organite et fréquence propre de l’englobant se confond probablement – j’en fais la conjecture – avec la constante de Planck[1], à la fois quantum d’énergie, quantum d’information et durée source. 

Ainsi pour l’animalcule déjà une distance se sent, reflet de ses cyclicités propres face aux cyclicités globales ou au contraire fines des « objets »  qui l’environnent. Chacune de ces cyclicités est intrinsèquement incommensurable, propre à chaque objet et en marquant l’existence singulière, cet objet fût-il l’univers lui-même. Mais bien qu’intrinsèquement incommensurable chacune en elle-même, leur croisement détermine une durée et un lieu réels, manifestes, et donc la possibilité d’une métrique locale.  Cette distance/durée est assimilable à  un gradient d’énergie, toujours orienté dans le même sens, de l’extérieur, d’où provient l’énergie, vers l’intérieur, qui la consomme. On nomme généralement ce gradient  flèche du temps. A tort, pour la raison que le mot « temps » ne recouvre aucune réalité de l’univers. Seuls s’y distinguent l’instant et la différence élémentaire entre le soi et l’hors-soi.


[1] Quelle est la signification des constantes cosmologiques ? Sont-elles des sortes de « nombres architectes », nombres architectes au nombre nécessairement d’une poignée seulement, et dont les produits architectoniques se verraient au sein des nombres sous forme de nombres « univers », « imaginaires », « premiers », etc. Notons en passant que la dimension de Planck n’adopte ses valeurs bizarres et pas très élégantes – 1,616 × 10-35 mètre, 2,177 × 10−8 kg, 5,391 × 10−44 s ,1,875 × 10−18 C, etc – que parce qu’aperçue, ex-post, depuis ses conséquences, et non depuis son in-ception, nécessairement hors d’atteinte de l’entendement, puisque condition de possibilité de l’aperception. On pourrait bien comme à C, lui accorder la valeur unitaire 1.


Morula

Notre cellule flotte dans l’océan. Au-dessus d’elle tournoie la voûte céleste, s’entrechoquent les galaxies, explosent les supernovae. Des branes cinglent l’univers de part en part en quelques battements, tandis qu’à des niveaux plus fins l’agitation brownienne triture infatigable la soupe de particules bouillonnant et grumèlant depuis le « vide » quantique, instable et gorgé d’énergie. Voilà ce qu’est, pour notre morula, l’univers. Voilà ce qu’il est pour nous aussi, même si de sa réalité profonde nous n’entrevoyons que ce qui est d’emblée utile à notre pérennité phénoménale.

Notre morula ne peut être transparente. Elle est au moins diaphane. Car nécessairement, à quelque niveau, elle transforme la portion d’univers qui l’accueille. Un corps imaginaire, totalement transparent à tous les rayonnements, se laisserait traverser sans altérer le champ incident.  Un corps battant à l’unisson de tous les champs vibratoires, n’interagissant aucunement avec son environnement, ne pourrait du fait même de sa parfaite consonance avec ce qui n’est pas lui, développer une quelconque instance de relation avec un extérieur envers lequel il n’entretient aucune différence de  potentiel, aucune arythmie, aucune syncope, aucun glissement, aucune solution de continuité. De fait aucune existence, aucune perception ne sont envisageables sans une différence d’avec le milieu, même la plus infime.

Plongé dans un champ vibrant, un corps réagit en adoptant un mode vibratoire particulier, synthèse dynamique du champ incident et des caractéristiques singulières de l’objet. En retour il modifie le champ incident à la manière dont, dans les jardins Zen les ondes de gravier heurtent et contournent les rochers en en soulignant les contours, ou bien encore à la façon dont la pluie solaire aux abords de la terre toronne au sein de la ceinture de Van Allen.

Le décalage entre mode vibratoire propre de l’organite – sa fréquence propre de résonnance –  et la mer vibratoire qui l’englobe, fournit la condition de possibilité du développement d’un organe du sens. Cet écart, aussi ténu soit-il, constitue la racine du sens, la condition de possibilité de la construction d’un soi et d’un hors-soi primitifs. La discontinuité du milieu manifeste et délimite la singularité, discontinuité qui est la condition de possibilité de l’émergence d’un organe de relation au monde, d’un organe des sens.

Parler de vibration, c’est interdire l’arrêt. Il n’y a pas de vibration statique, même si localement deux ondes en opposition de phase créent une immobilité virtuelle. Entre l’organite et son environnement circule sans cesse une théorie d’états miroir, par lesquels l’organite ajuste son mode vibratoire aux influences incidentes dans des figures dont le camaïeu complexe – les Moires des vieux Grecs – reflète la structure et les relations entre en-soi et hors-soi. De sorte qu’organite et environnement, en soi et hors soi, intègrent tous deux à chaque instant tous les états de l’univers[1]. Ainsi peut-on dire de la même manière, avec certes quelque approximation, que le mouvement d’une molécule de l’océan reflète et intègre l’ensemble des mouvements de la masse océanique.

Outre un corps, notre organite comporte une limite, une frontière, en deçà de quoi finit l’en-soi, au-delà de quoi commence l’hors-soi. Il n’est pas même nécessaire que cette limite soit matérialisée par une membrane, une enveloppe. Elle peut n’être qu’une solution de continuité en deçà et au-delà de quoi diffèrent nature physique (densité, d’élasticité, comportement dynamique, etc.) ou chimique (salinité, acidité…)

Cette enveloppe, remarquons-le est bidimensionnelle, quand le vitellus est tridimensionnel. Ainsi le régime vibratoire de la limite diffère-t-il nécessairement de celui de la masse de l’organite. Aux modes vibratoires tridimensionnels rétroagis de l’en-soi et de l’hors-soi se superpose le mode vibratoire bidimensionnel de l’enveloppe. De sorte que le sens du « dedans » et du « dehors »  émerge du comportement original de la limite. L’embryologie le confirme, qui  observe une origine commune au système nerveux (encéphale, moelle épinière, plexus, nerfs) et à la peau, conçue comme un prolongement périphérique du cerveau. Cette peau-limite recèle en puissance les éléments d’une théorie[2] de l’espace, sens dont, par hypothèse, notre organite n’était pas au départ doué.

Vibrer emporte encore une conséquence importante. Vibrer interdit le repos. Le corps de notre organite, incessamment soumis à une myriade d’influences périodiques, n’est jamais quiet.

Ainsi dans le cas d’une onde acoustique, alternance de pression et de relâchement, le corps de notre animalcule se voit alternativement comprimé puis étiré. En sorte que  l’état énergétique de notre organite n’est jamais « consécutivement » semblable. Pour le ciron, cela n’est pas sans conséquence : il lui faut réguler continuellement à la fois l’accroissement d’énergie potentielle et sa dissipation. Or il n’est pas interdit de supposer que certains états sont pour notre animalcule  plus « confortables » tandis que d’autres le sont moins : plus « confortables » quand le métabolisme de notre organite se trouve amélioré, « inconfortable » quand il se trouve  à l’inverse dégradé.


[1] L’étoffe de l’espace-temps est bien cela : une collection infinie de centres où se jouent des espace-temps singuliers, barycentres de l’ensemble des influences externes et de la source interne. L’agrégat synthétique de tous ces barycentres donnent l’illusion d’un espace-temps externe universel, qui n’a pas en soi de réalité.

[2]  « Théorie de l’espace » au sens où l’on dit « théorie de l’esprit », dans les deux cas avec abus, puisqu’il ne s’agit pas de théorie à proprement parler  – procession logique de concepts rationnels et conscients plus ou moins conformes à l’expérience – mais de théorie implicite et inconsciente par quoi se forment les perceptions, concepts, affects et jugements


Translucence

Notre cellule flotte dans l’océan. Au-dessus d’elle tournoie la voûte céleste, s’entrechoquent les galaxies, explosent les supernovae. Des branes cinglent l’univers de part en part en quelques battements, tandis qu’à des niveaux plus fins l’agitation brownienne triture infatigable la soupe de particules bouillonnant et grumèlant depuis le « vide » quantique, instable et gorgé d’énergie. Voilà ce qu’est, pour notre morula, l’univers. Voilà ce qu’il est pour nous aussi, même si de sa réalité profonde nous n’entrevoyons que ce qui est d’emblée utile à notre pérennité phénoménale.

Notre morula ne peut être transparente. Elle est au moins diaphane. Car nécessairement, à quelque niveau, elle transforme la portion d’univers qui l’accueille. Un corps imaginaire, totalement transparent à tous les rayonnements, se laisserait traverser sans altérer le champ incident.  Un corps battant à l’unisson de tous les champs vibratoires, n’interagissant aucunement avec son environnement, ne pourrait du fait même de sa parfaite consonance avec ce qui n’est pas lui, développer une quelconque instance de relation avec un extérieur envers lequel il n’entretient aucune différence de  potentiel, aucune arythmie, aucune syncope, aucun glissement, aucune solution de continuité. De fait aucune existence, aucune perception ne sont envisageables sans une différence d’avec le milieu, même la plus infime.

Plongé dans un champ vibrant, un corps réagit en adoptant un mode vibratoire particulier, synthèse dynamique du champ incident et des caractéristiques singulières de l’objet. En retour il modifie le champ incident à la manière dont, dans les jardins Zen les ondes de gravier heurtent et contournent les rochers en en soulignant les contours, ou bien encore à la façon dont la pluie solaire aux abords de la terre toronne au sein de la ceinture de Van Allen.

Le décalage entre mode vibratoire propre de l’organite – sa fréquence propre de résonnance –  et la mer vibratoire qui l’englobe, fournit la condition de possibilité du développement d’un organe du sens. Cet écart, aussi ténu soit-il, constitue la racine du sens, la condition de possibilité de la construction d’un soi et d’un hors-soi primitifs. La discontinuité du milieu manifeste et délimite la singularité, discontinuité qui est la condition de possibilité de l’émergence d’un organe de relation au monde, d’un organe des sens.

Parler de vibration, c’est interdire l’arrêt. Il n’y a pas de vibration statique, même si localement deux ondes en opposition de phase créent une immobilité virtuelle. Entre l’organite et son environnement circule sans cesse une théorie d’états miroir, par lesquels l’organite ajuste son mode vibratoire aux influences incidentes dans des figures dont le camaïeu complexe – les Moires des vieux Grecs – reflète la structure et les relations entre en-soi et hors-soi. De sorte qu’organite et environnement, en soi et hors soi, intègrent tous deux à chaque instant tous les états de l’univers[1]. Ainsi peut-on dire de la même manière, avec certes quelque approximation, que le mouvement d’une molécule de l’océan reflète et intègre l’ensemble des mouvements de la masse océanique.

Outre un corps, notre organite comporte une limite, une frontière, en deçà de quoi finit l’en-soi, au-delà de quoi commence l’hors-soi. Il n’est pas même nécessaire que cette limite soit matérialisée par une membrane, une enveloppe. Elle peut n’être qu’une solution de continuité en deçà et au-delà de quoi diffèrent nature physique (densité, d’élasticité, comportement dynamique, etc.) ou chimique (salinité, acidité…)

Cette enveloppe, remarquons-le est bidimensionnelle, quand le vitellus est tridimensionnel. Ainsi le régime vibratoire de la limite diffère-t-il nécessairement de celui de la masse de l’organite. Aux modes vibratoires tridimensionnels rétroagis de l’en-soi et de l’hors-soi se superpose le mode vibratoire bidimensionnel de l’enveloppe. De sorte que le sens du « dedans » et du « dehors »  émerge du comportement original de la limite. L’embryologie le confirme, qui  observe une origine commune au système nerveux (encéphale, moelle épinière, plexus, nerfs) et à la peau, conçue comme un prolongement périphérique du cerveau. Cette peau-limite recèle en puissance les éléments d’une théorie[2] de l’espace, sens dont, par hypothèse, notre organite n’était pas au départ doué.

Vibrer emporte encore une conséquence importante. Vibrer interdit le repos. Le corps de notre organite, incessamment soumis à une myriade d’influences périodiques, n’est jamais quiet.

Ainsi dans le cas d’une onde acoustique, alternance de pression et de relâchement, le corps de notre animalcule se voit alternativement comprimé puis étiré. En sorte que  l’état énergétique de notre organite n’est jamais « consécutivement » semblable. Pour le ciron, cela n’est pas sans conséquence : il lui faut réguler continuellement à la fois l’accroissement d’énergie potentielle et sa dissipation. Or il n’est pas interdit de supposer que certains états sont pour notre animalcule  plus « confortables » tandis que d’autres le sont moins : plus « confortables » quand le métabolisme de notre organite se trouve amélioré, « inconfortable » quand il se trouve  à l’inverse dégradé.


[1] L’étoffe de l’espace-temps est bien cela : une collection infinie de centres où se jouent des espace-temps singuliers, barycentres de l’ensemble des influences externes et de la source interne. L’agrégat synthétique de tous ces barycentres donnent l’illusion d’un espace-temps externe universel, qui n’a pas en soi de réalité.

[2]  « Théorie de l’espace » au sens où l’on dit « théorie de l’esprit », dans les deux cas avec abus, puisqu’il ne s’agit pas de théorie à proprement parler  – procession logique de concepts rationnels et conscients plus ou moins conformes à l’expérience – mais de théorie implicite et inconsciente par quoi se forment les perceptions, concepts, affects et jugements

Continuer la lecture de « ouïr et durer »

Vendée Globe

Le Vendée Globe Challenge
se court actuellement.
Grâce à des caméras embarquées,
des satellites
constellant l’azur
de leurs chiures,
grâce à des émetteurs,
pleins de coltan
qui assassinent les gorilles
des barres de plutonium
des millions d’heures de travail
harassant
des puces Nvidia
des Amazones d’eau pure
abreuvant des centre de données
gobant des gabegies d’énergie
nous voyons à l’étrave des bateaux profilés
filer l’onde en remous tendus.
Véolia,
Veolia Environnement
fait partie de la course !
Ils triment les beaux navigateurs !
Ils suent.
Ils feront demain la pub pour des
déodorants.
Naguère, Bernard Moitessier refusait la course.
Le monde avait un sens.

Publié le Catégories Poésie

mercure

L’air surchauffé vibre sur la plaine sans bords entre Sahel et Sahara.
fondue à blanc l’atmosphère chatoie de langues
mouvantes d’argent vif où s’accolent, s’embrassent,
se délient des flaques de carbone en mouvants miroitements
dessus, flottant entre ciel et horizon
paît une gazelle gracieuse qui hasarde
dans l’eau du mirage un sabot délicat.

Sur le chaudron de photon, sur le magma de lumière dense
pèse un azur solide, sec, pur, dur, plane un bourdon minéral
à peine troublé par les notes indécises d’un luth lointain qu’égrène un plectre.

Là, au milieu de nul part, à l’ombre chiche d’une zériba
posée sur l’arène un douanier s’est assoupi transistor à l’oreille.
Cette cabane de palme, c’est le poste frontière entre Niger et Mali.

Au mitan de ce néant, les vibrations hésitent
entre réel et illusion,
entre ébranlements hertziens d’un lointain muezzin
et la corde de peau et le corps de bois
du djembé et de la derbouka,
de la cora, du luth.

Au centre de ce rien, à la frontière de deux paumes nues
s’affrontent deux devenirs
Dans les madrassas, les corps balancent rythmiquement
les dos ploient aux cinq prières du jour
on rêve d’une vie codifiée sous le regard de Dieu
tandis que les antennes des villes hérissées
d’envies frustrées beuglent leurs publicités
.
Pour ces terres sans confins
l’Islam rêve d’un autre pacte entre l’homme et le divin
entre l’homme et la femme,
entre tumulte du désir et sagesse équanime,
entre l’homme et un Dieu qui
le garderait à distance encore
dans l’attente d’une incarnation
non encore advenue et qui le rend modeste.

A la scansion, à la ritournelle, à la coutume,
les fils des Grecs préfèrent le changement,
le progrès, le temps des engrenages,
le temps cumulé à intérêt, la flèche orientée.

Choc des civilisations heurt des durées
Il n’y a pas dans le clip -parenthèses du temps –
ou les échantillons du rock
dans le halètement des machines
l’espace suffisant pour la lente catalyse
du répons birman, l’égrènement du nan-guan, les ciselures du luth

Publié le Catégories Poésie

boustrophédon

La brise marine apporte par bouffées des bribes d’opéra. A un jet d’œil une rizière inondée [1], qu’un buffle au pas grave laboure: son encornure lourde balance lente au rythme de l’effort.

Sur une margelle un transistor est posé. L’araire progresse dans la boue, tirée par le sabot.

A l’ombre d’un cône de paille, les mains sur les conduites de bois, le paysan arpente le boustrophédon du sillon qu’il trace, qui l’éloigne, le rapproche, l’éloigne, le rapproche de la sempiternelle mélopée. Parfois l’haleine saline apporte les vocalises presque humaines qu’égrène un lointain violon à deux cordes. Depuis combien de siècles le paysan pousse-t-il son buffle ? Comme son sillon boustrophédon, l’opéra cantonais revient sans fin sur des thèmes inlassables.

Une fois l’an, sur la place du village[2], une troupe itinérante bâtit son théâtre provisoire, et sous les cintres de bambou prolonge la tradition. Les maisons du bourg s’adossent à la pente, le dos léché par la jungle où errent les pythons, réservoir sans fin d’envahissants cafards, d’iules vermillons et de termites ailés. Dans les vides sanitaires, des cobras chassent les rats.

Devant, le village ouvre vers la mer sur une large aire commune, plane et rectangulaire. De là, la vue embrasse sous un angle très ouvert une pente déclinant mollement vers l’estuaire incandescent sous la pluie de lumière de la Rivière des perles. Dans la brume tropicale presque dense les potagers sont piqués de peluches géantes en guise d’épouvantail : Mickey ici, là-bas, la Panthère rose ! Les rizières miroitantes, l’ocre clair de l’arène piquée de friches rases, les boqueteaux de bananiers aux palmes paresseuses, les plumeaux légers des touffes de bambou où erre le serpent vert que ne craignent pas les chats mais qui les font baver ! s’étalent dans la lumière paresseuse.

Sur l’aire bétonnée, deux panneaux de basket pour les adolescents. Quatre ou cinq échoppes minuscules vendent de la bière et le dépannage du quotidien : huile, nouilles rapides, cigarettes, woks, clous, épingles à linge. Une glacière, quelques tables pour boire la Tsingtao, des parasols, des blocs équarris de tuf volcanique en guise de banc : l’île est une bulle de magma sur laquelle ont vomi des volcans plus récents.

La troupe construit sa scène, haute et couverte, vaste comme une  maison. On cloue sur l’armature de bambou des plaques de tôle. Elles brillent sous le soleil dur. Du clinquant, des bannières, des oriflammes, des fanions jaunes flottent, aux caractères noirs, rouges, dorés ou violets balancés par la brise. Tard dans la nuit chaude des projecteurs l’éclairent. Sur le désordre de chaises massé devant la scène, on s’assoit. Les grands-mères apportent leurs travaux d’aiguille ou ramendent une vannerie. On assiste, on écoute, on papote.

Lassé, ou rappelé à la nécessité, on retourne vaquer aux besognes du jour, de la marmaille qui crie pitance, pour revenir le soir au bercement de la psalmodie, tantôt grave, tantôt le cœur battant des joies et des courroux mimés, sursautant soudain aux trilles suraiguës du faux castrat, tandis que se déchaînent le tintamarre aigre des cymbales, que le violon se plaint, que la peau du gong battu fait vibrer l’estomac, que les longues plumes de paon des tiares rejetées d’un coup de nuque fouettent l’espace, qui miment le geste d’un vieil empereur dont les colères, caprices, intuitions animales construisirent le monde, dont on ne sait plus si elles furent géniales ou seulement triviales.

Des jours durant, la représentation se joue, de la fraîcheur relative du matin à la tiédeur revenue longtemps après le crépuscule précoce. Assis de part et d’autres de la scène, en costume ou encore au civil, les acteurs se restaurent. On entame les dômes blancs du riz tassé dans de petits bols de laque rouge, tandis que l’opéra continue, indifférent au friselis des baguettes.

C’est la vie même qui dure et passe, la vie datée et périssable, comme celles plus essentielles, les dits d’annales ou de romans des concubines, des amants, des ducs, pleines de vengeances, de trahisons, d’amours secrètes, de courroux léonins, de guerres, de ruses et de diplomatie. On écoute ou l’on bavarde, on s’assoupit ou bien l’on apprécie, on reste ou l’on s’en va quelques heures pour revenir ensuite finir le jour l’oreille bercée de ces histoires antiques, vieilles comme la culture que tout le monde connaît.

Et l’on n’a rien manqué, car elles ne changent jamais et leurs épisodes s’emboîtent comme les nuits suivent les jours, comme les équinoxes s’enchaînent aux solstices. Sur le fond de l’histoire, le buffle tire l’araire, le paysan la pousse, le sillon se replie. L’opéra disparaît : c’est l’une des dernières troupes foraines de Chine.


[1] 22°16’15.86″N, 113°59’25.57″E

[2] 22°16’12.72″N, 113°59’20.85″E

Publié le Catégories Poésie

arroi, désarroi

Comme ces graines capables de germer
après des millénaires,
la musique invoque en un même présent
un point de capiton
entre des mondes
éloignés dans l’espace, le temps, les subjectivités.

Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre. A l’oreille du fœtus, le cœur de la mère est la première cymbale,
le premier métronome.
Cadence, contre-cadence, clappe rythmique,
craquètement des bâtons de musique,
une joyeuse troupe préhistorique,
enfants, femmes, nourrissons sur les reins,
frappe l’eau à pleine paume,
poussant le poisson dans la nasse de fibre
premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs,
équivalent humain des chronicités animales,
des symphonies coassantes,
des vagues stridulantes des cigales,
des concerts perchés des singes alouates,
entre assonance et disonance,
qui ne hurlent pas mais cherchent la musique.

Ces chœurs évoquent dans l’ordre sonore
l’ovulation simultanée
des harem animaux
celle des femmes qui cohabitent
la floraison des bambous partout simultanée
la course parallèle des cerfs en rut
qui en une volte
sublime de synchronie
affrontent leurs ramures.

C’est l’ahan des souqueurs,
contraction et détente alternées,
le répons collectif du souffle à l’arc-boutement des reins sur la houe.
L’animal aussi connaît cette conjonction du labeur et du muscle :
buffle masaï, peuhl, cantonais ou picard à l’arroi,
les yeux mi-clos comme de plaisir ou de méditation,
tandis que le pasteur fredonne sa mélopée et module ses cordes.
Rythme inscrit à la fibre de l’effort et du muscle,
souffle-cri propre à chaque culture,
celui des rameurs abyssins de Montfreid
expirant en cadence.

Danses, rondes, transes accompagnent l’homme
depuis qu’il naît à-lui même,
si lointain héritage qu’il est sans origine.
Longtemps, quand l’homme se nourrissait encore d’effort, de trivial, de sublime,
scurrile et transcendant cohabitaient sous les mêmes calottes de crâne et d’étoiles :
planter, manger, vivre, voir, chanter !

Temps congru à la boucle des jours,
sous la voûte tournante des cieux,
dont le corps est le mètre.
Dans nos villages, sans clocher encore,
le veilleur souffle sa corne pour annoncer l’aube revenue.
Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs,
lassitude reposée en mélangeant les corps d’où surgit le futur.

Lors, rien ne saurait éteindre l’épuisement moral de l’homme moderne,
à qui le temps n’appartient plus à force de le compter,
et ne sait plus quel sens a l’existence.

Publié le Catégories Poésie

vents du Sud

Le nan-guan – 南 管 , souffle du Sud – est un récitatif monocorde originaire de la province côtière du Fujian, l’antique Min-Yue –越- au sud-est de la Chine, rebelle royaume racine de la belle Formose. Sa trace est ancienne, un demi-millénaire avant la naissance du Christ selon notre comput. C’est une musique discrète, mélancolique, élégante, lente, méditative. Une interprète unique parfois dont la voix enlace en chaîne continue, encore et encore, les boucles d’une mélodie linéaire. Sur cette plaine monocorde l’accord surgit, non pas de la synchronie, non pas du rythme, mais de la rémanence des instants, entre sons neufs et sons juste passés. Les notes qui fuient résonnent avec celles qui jaillissent. Passé et présent concordent dans l’oreille.

La Birmanie préserve vivante une tradition lyrique de gracieux répons amoureux : une jeune fille, craignant d’être séduite et redoutant de ne pas plaire sans cesse chante à son soupirant ses refus engageants. Mélopée, paroles, soupirs, nuances s’enlacent, s’enroulent et se délient,  toujours reprenant leur danse embrassée. Crainte du rapprochement, de la prise qu’offre le désir à la violence. Sans la crainte surmontée du rapprochement des corps, sans le répons des amants, à quoi servent les parades animales et les codes humains de la cour amoureuse, pas d’étreintes fructueuses, pas d’oreilles pour entendre, pas de musique, pas de temps.

Le nan-guan comme la mélopée birmane tricotent leurs boucles musicales en chaînes continues, récursives, cycliques. Les deux genres renvoient à la lente scansion balancée de la mémorisation orale, à la mélopée, aux généalogies des griots, aux rouelles et svastika scythes, celtes, védiques, au balancement des madrassas, que vient barrer la croix chrétienne fléchée entre origine et fin.

Publié le Catégories Poésie

Voici le début…

Voici le début
de la glissade exponentielle
l’été sera celui des incendies.
on aimerait se mettre la tête sous le sable
pour ne pas voir la catastrophe
s’approcher à grands pas
Anxiété

Il fallait cela
la guerre
pour réveiller
les consciences.
Maintenant c’est septembre
l’été n’est pas fini.
L’optimisme s’efface
les vagues s’additionnent,
la suivante chaque fois plus haute.
Charogne des poissons morts.
L’été prochain sera le même,
au carré.

Les fourmis, les blattes survivront
débarrassées des stupides sapiens,
morts au berceau à trois cents mille ans d’âge
de géniale bêtise !
L’anxiété est diffuse et générale, le désespoir enthousiaste
dans la fulguration de tous les angles
que la catastrophe change

Angoisse
Plus de retour possible.
Les humains s’agglomèrent
préparant l’explosion
Leur arrogante confiance les condamne.
Oublier, oublier,
que le monde est perdu
que la seconde flambée sera pire
danser, danser, jusqu’à la chorémanie !

Publié le Catégories Poésie

protéodies

L’ouïe n’entend qu’au travers des préjugés et des filtres de la culture, des écumes desquels nous affranchit la musique. Par delà les époques et les identités, elle coud, libre d’époques et de frontières, un point de capiton entre des mondes distants, ressuscite l’ouïe, la voix, les doigts des musiciens morts, y synchronise le vivant dans un commun virtuel présent.

Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre tandis que le cœur de la mère est le premier métronome cymbalant à l’oreille du foetus. Clappe rythmique, cadence, contre-cadence, claquement des bâtons de musique, halètement du didjeridoo, scène totale du rite ou geste et symbole, bouche et âme, physique et métaphysique, parois de pierre et tétons de calcite, partagent une même substance, tandis qu’approche une joyeuse troupe préhistorique, enfants, femmes, nourrissons dans le dos, battant des paumes l’eau, poussant le poisson dans la nasse de fibre.

Premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs. Ils sont chez le bipède l’équivalent des chronicités animales, des symphonies coassantes, des vagues orchestrales des cigales orientales. Ils évoquent dans l’ordre sonore l’ovulation simultanée des harems animaux ou des femmes qui cohabitent. C’est la course parallèle des cerfs en rut, qui en une volte sublimement synchrone affrontent leurs ramures.

Le rythme s’inscrit d’abord dans le métabolisme du muscle. C’est le souffle-cri des rameurs abyssins de Montfreid, expirant en cadence ployés sur l’aviron.  Chant d’effort inscrit à la racine du corps tout coloré de culture. C’est l’ahan des souqueurs, l’aria des tractions et détentes alternées des bras, épaules et coeur. C’est le répons choral qui soutient l’effort de la houe et l’arc-boutement des reins. Temps métabolique que l’animal à l’arroi, buffle masaï ou peuhl, bœuf picard, au labeur difficile, endure les yeux mi-clos et comme méditant que pousse la mélopée du bouvier traçant le sillon.

Danses, rondes et transes accompagnent l’homme depuis qu’il naît à lui, héritage de si loin qu’on n’y saurait trouver ni terme ni origine. Longtemps, la mystique se nourrit du geste, trivial, poétique, acrobatique, astucieux, laborieux, dont le corps est le mètre, dans la boucle des jours sous la voûte tournante des cieux.

Dans nos villages, encore sans clocher, le veilleur souffle sa corne pour avertir de l’aube revenue. Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs, la lassitude du corps demandant sieste et repos. Salubres courbatures de l’histoire immobile quand l’éreintement moral guette l’homme moderne qui ne connaît plus de raisons à ses jours faute d’encore être maître du temps.

Publié le Catégories Poésie

sans pâleur ni blessure

A ma peau suspendue tes caresses

et mon cœur tout beurré de tendresse

ému par tes cris de ventre à mon oreille

dont résonnent la forêt ténébreuse

qu’envient alanguis de leurs belles

 le cerf bramant ou l’ours réveillé

je vois tes yeux mon cœur la flamme rieuse de ta taille menue

que mes mâles mains ceinturent

allongée désirablement nue

sur un tapis d’air et de lune

Seras-tu toujours cette perle

ce souvenir de génie

sous la voûte d’étoiles

de peau et de caresses

de pompes soyeuses

et de buccales délices 

où nous berçâmes enfants

toutes les cosmogonies ?

Mémoires trop serrées pour y songer sans doute

car la droite, l’angle, le calcul président aussi aux couples :

les larmes, les déchirements ruinent même les pyramides 

et le crêpe lourd ensevelit les enfants les plus beaux

solitude, force, fierté sont compagnes plus fidèles

qu’amoureuse de chair !

Pour seule promesse alors

un amour provençal aux journées belles

à l’azur si profond que les siècles y stationnent

où des avions d’argent ont des murmures d’insecte

où tes pupilles tracent des rayons légers

amour d’un seul été et de simple gaîté

qu’aucun hiver, oncques froidure

sans pâleur ni blessure ne troublent nos rires clairs !

Publié le Catégories Poésie

l’étoile d’ouate

Parti en cocaïne visiter le Sahara ou plus loin
la nuit baillait un jour laiteux
de son sabot ma monture leva
dans une coloquinte lové un scolopendre
du cocon ligneux ennuyé et marri d’être ainsi tancé
le multipode désigna mon nez
instantanément
plus gras et plus brillant
je louchais sur le miroir céreux où brillait
une étoile de cellulose
une fleur d’ouate
à la lumière de diamant

ma mule tanguait sur des croupes de sable
avec comme seul orient entre mes yeux
cette étoile sur mon nez
il me fallait la suivre
je montais, descendais des marches minérales
entre des haies d’yeux blancs suivant ma silhouette
dans des visages noirs
d’autres à mes pieds gisaient

c’est de Sète que je partis
ayant dormi deux jours dans une villa ravagée de la Colline Saint Clair
dont je sautais le porche art-déco
voilà trois pièces
la première au lavis bleu jonchée de gravats
la seconde sanglante rongée de moisissure
dans la troisième les éclats d’un miroir
les chiottes sont couverts de poussière
la pluie à l’aube me tira de mon gîte
tout près, la grande croix de néon
achevait de baver sa laitance blafarde dans le jardin de l’église
Je rencontrai Aïcha qui vit l’étoile sur mon nez
en parla à Malika, celle qui sort avec Esteban
Ils me gavèrent tant de leurs conseils et apories croisées
que n’en pouvant plus je rentrai à Montpellier astiquer l’étoile d’ouate.

Publié le Catégories Poésie

flemme

Encore une nuit dans la mort trouée. Il l fait noir, ça pue. Je me suis affalé ce matin avec mes chaussettes. J’entends étouffé le bruit des poubelles métalliques qu’on remue. Cette histoire doit être ancienne, car les poubelles sont désormais en plastic par arrêté municipal.

Quand je me suis réveillé, j’étais assis sur mon lit, les draps bien blancs luisant faiblement. Mon lit était tourné contre le mur, sans que je sache s’il s’agissait d’un exercice Zen ou une d’une punition pour je ne sais quelle faute. Dehors bien qu’il ne plût pas, le paysage était inondé. L’eau mouillait tout, les chaussées, les automobiles, les vélos, les devantures, les passants, sans tomber.

La journée précédente avait été belle, la lumière jouait dans les rideaux jaunes pâles. Je n’avais rien fait, juste regarder les passants autour de la fontaine en bas et les consommateurs aux terrasses des cafés. Ma vue s’attardait sur les cuisses et les poitrines des jolies filles. J’aurais certainement pu en persuader une de grimper sur ce lit.  Mais il m’aurait fallu descendre. J’ai donc allumé la télé.

Il s’est mis à pleuvoir, et tout a été balayé, les passants, les terrasses, les parasols, les arbres, tout était trempé d’eau, qui fuyait vive dans les avaloirs, chevauchée par des pirogues de feuilles. Le jour avait fortement décru, comme si on avait éteint la lumière. Mais j’avais toujours mon poste branché.

Je préférais qu’il fasse sombre : après tout cette lumière me dérangeait, et les filles n’avaient qu’à faire aussi un effort. L’esprit du moine Zen doit être tranquille comme la flamme qu’aucun souffle ne trouble. Moi, j’étais plutôt comme le  glaïeul ou une autre fleur à tige charnue plantée dans son vase ; tout aussi stable que la flamme, aussi tranquille, je ne pensais pas aux tremblements de terre.

Que m’importait la météo, la bourrasque au dehors, les garçons de café rentrant en hâte leurs fauteuils d’osier : je préférais savoir le temps à New Delhi ou à Pékin sur ma télévision. J’avais de tout façon au réfrigérateur, dans les placards ou les tiroirs ma provision d’intempérie, de vagues, de vents violents et d’éclats de tonnerre, suffisamment de réveils inondés par les fleuves ou les pleurs, suffisamment de bière pour me noyer, d’alcools forts pour sonder les catacombes,  de tabac  pour imiter la ville (c’est un des principaux avantages de la ville que de priver les gens  d‘air).

Dans ces conditions j’avais peu d’énergie pour mes journées. Je restais coi sur mon lit à l’envers aux draps faiblement éclairés.  Par la fenêtre, je devinais la cime des arbres, coupée par l’appui vert de la fenêtre. J’imaginais l’écorce noire et humide des branches des arbres de la cour, fichées en terre en quinconce comme des mains figées. Au-delà je voyais les toits d’ardoise pointus de quelque bondieuserie.

Je savais toute la ville immobile. D’ailleurs, elle n’avait pas beaucoup de place entre le ciel bas et sombre et tout ces murs mouillés qui s’arrêtent à la plaine faute de repères : cinq cent mètres après la plaine c’est toujours la plaine. Je m’en souviens comme si c’était hier, mais franchement je n’ai plus le goût d’écouter. Il a tellement plus que ça été dissout. Ce n’est plus qu’une question de temps : ces filles qui pourraient venir ou  que je pourrais aller chercher, je m’en fous, comme de ces confidences livrées, ces nirvanas rêvées : je m’en fous. Si désormais, je ne fais plus rien, je mourrai jeune. 

Publié le Catégories Poésie

L’histoire véridique de l’homme de bronze de la gare de Crest

Il faut parfois raconter l’histoire telle qu’elle s’est déroulée. Sans fard. Sans en rien retrancher, ni ajouter. Sans prêter l’oreille aux racontars.
Non, il n’y a ni cresson, ni glaïeuls. Pas un trou au côté, mais au milieu du corps, une béance énorme. On voit le ciel au travers.

Exécution au canon ? Tir de roquette depuis la gare ? En tout cas, l’impact en plein coffre fut si violent, le métal vaporisé si abondant, que l’homme se figea instantanément dans le bronze. Un éclat du projectile a d’ailleurs cassé l’orteil de marbre du Déporté couché (incident vite réparé).

Qui était cet homme
 ? Pourquoi une mort si atroce ? Simple voyageur ? Couverture ? Est-il tombé dans un guet-apens ? Des puissances étrangères ? Restons sourds à ces rumeurs.

Mais la valise : que contient-elle ? Quels indices ? Des clous ? Des boulons ? Des gamelles et des bidons ? Des scolopendres, de la scopolamine, de la salsepareille, des scorsonères ? Ou peut-être des cétoines et des situles, des limules et des sousoucs, des cicadelles, des caméleopards suivis de lycaons – ou des paons, ça dépend – des colophons, des tire-comédons, des vers boustrophédon… et, sait-on, des sot-l’y-laisse, des canons à cancrizans, et aussi des marées de syzygie ? Ou bien des sybarites, des stylites, des placomusophiles, ou encore des laies suitées ? Au fait, quelle heure est-il ? Quel temps fait-il dans la valise ? Alice y chute-t-elle ? Et le lapin ?
Mystère
 !

Attention ! Autour de l’homme de bronze rôde une malédiction : qui tentera d’ouvrir la valise sera changée en statue de sel !

Même si la pluie finira par vous dissoudre, prière aux candidats à l’éternité fongible d’adopter une pose décorative à l’instant fatidique. Car les Crestois auront un temps à supporter votre effigie. Autant être à votre avantage!

Publié le Catégories Poésie

éthologie moderne de la girafe

La girafe volante est une espèce fréquente sous nos latitudes bien que rarement aperçue. Tournoyant par troupeau en altitude, son pelage violet la rend peu discernable sur l’outremer de la plupart de nos nuits.

En août, il arrive qu’on repère leurs troupeaux sous forme de grappes d’ombres filant en silence devant l’averse d’étincelles des Céphéides plongeant dans l’anneau lactescent de notre galaxie. Plus rare encore ce spectacle d’une aurore méridionale déployant avec une lenteur magistrale ses draperies chatoyantes que griffe le vol noir des ruminants ailés.

Peut-être ému d’une telle beauté, le pelage de l’animal se met alors à palpiter, virer à l’or, à l’émeraude, au rubis, au saphir, à un diamant si limpide qu’ils font comme des yeux ouverts sur des abîmes d’encre. Oui au ciel la girafe partage avec le calamar et les poulpes au fond des lagons l’aptitude surprenante à montrer ses émotions en palpitant de couleurs !

En rêve on voit parfois le troupeau entier synchroniser ses moirures. Alors à l’œil chanceux advient un singulier phénomène: comme à Montélimar le caramel fige sur les amandes du nougat blanc, l’espace entier se coule dans une forme de marbre. Oh certes elles glissent les girafes mais au fond rien ne se passe ! 

Les girafes sont friandes de fleurs colorées poussant au sommet de lieux à long panorama : éminences, monts, buttes, mottes. Car comme au flamand rose, leur pitance leur fournit les couleurs. C’est pourquoi elles batifolent en rase-mottes pour gober suffisamment de lucioles, source des photons de la parade amoureuse qu’elles offrent aux nuits d’été.  Une seule espèce de pétale leur est toxique : l’orchidée de l’homme pendu (1).

Cette plante affectionne les anciens gibets. Si, comme au-dessus de la croix de Romans (dit « rond-point des Gilets jaunes »), vous habitez près d’un ancien lieu de supplice, alors s’il vous plaît, éradiquez l’orchidée pour préserver la girafe !

C’est un mythe que ces ongulés, comme les martinets, voleraient en dormant. Ou encore que leurs lèvres préhensiles au bout de longs cous au terme de longues pattes jamais ne frôleraient la boue où s’engluent ces étincelles de lumière qui sont l’âme des hommes. Nostalgie de l’étoile !

Sûr à l’inverse qu’elles évitent à tout prix de se poser au fond des vallons. Car dès disparu le dernier rayon de lumière, l’air soudainement refroidi interdit tout essor. Bien lamentable le sort de ce héron – cousin éloigné de la girafe comme le poulet du dinosaure – aperçu un crépuscule d’hiver entre Beaufort et Mirabel pris au piège du puits froid d’un val froid ombreux, condamné à une longue nuit d’anxiété et de périls loin de ses aimés.

Comme certaines pipistrelles, la girafe volante violette est cavernicole (2).

Mais à la différence du héron, qui sommeille vertical, la nuit la girafe en rêve perd consistance. Elle gonfle et flotte libre comme un ballon d’hélium. Sans le plafond d’une grotte, un courant d’air, une bousculade et la voilà évaporée dans l’encre de l’éther ! Aussi les girafes violettes n’ont-elles survécu que sur les planètes à gravité.

Si Newton avait vu une girafe s’envoler plutôt qu’une pomme tomber, que seraient devenus la physique, le monde et tous ses avatars, les quarks, les gluons, les baryons. Nos corps seraient-ils sans pandémies ? Que serait Marck sans Méta ?  La terre serait-elle plate, le phénix réveillé de ses cendres, l’unique naîtrait du même, à jamais demain serait comme hier, le vieillard inhumerait le nourrisson, poule et faisan auraient même ramage, esclavage et liberté se contempleraient en miroir ?

A t-on jamais vu un oranger sous le ciel irlandais ? Absurde ! Fieffés fols qui prétendent que les girafes s’hybrideraient aux poissons volants ! Un peu de bon sens, enfin ! Un petit oiseau, un petit poisson…mais comment s’y prendre ?


1 –Orchis anthropophora

2 – Contrairement à sa cousine pourpre.

Publié le Catégories Poésie

La caverne et le creux

Ta grand-mère, oh philosophe, n’était-elle pas pythonisse ?

Lentement l’encre nocturne remplace l’azur. Sous la lune qui prend la veille, le marbre luit, poli du frottement des étoffes. En contrebas, sur l’hémicycle, quelques lampes à huile vacillent et dans l’obscurité qui épaissit, projettent dans l’agora des ombres géantes. Les plus grands orateurs ont défilé sous ces sphères, des étrangers célèbres, des devins, des mages, des hyperboréens velus et des Noirs crépus, des Egyptiens, des marchands, des espions et même quelques gymnosophistes venus à grands périls d’au-delà des déserts sur le dos de chameaux à deux bosses.

– « Est raisonnable le raisonnement bien conformé sans schisme logique, qui décrit le réel », clame l’ombre géante d’un index, celui d’un homme peut-être trentenaire aux maxillaires carrés, nets, bien rasé, une fibule d’or à l’épaule. « Les chevaux borgnes ne sont pas chers, mais Athènes pour faire la guerre achète les plus belles cabales. Oui, la logique philosophique, voilà la supériorité d’Athènes… »

– « Tu l’as déjà dit, jeune homme », coupe un vieillard. « Qui confondrait une haridelle et un destrier ? Qui serait sot assez, même sans connaître les signes, pour échanger son or contre une haquenée borgne ? Même pas tes pères, beau jeune homme. Je les ai bien connus. Quand ils avaient leurs jambes, pour vaincre ou rester vivants, ils s’élançaient comme fous derrière l’égide. Comme leurs pères avant eux, ils rejoignaient les montagnes assister aux mystères. Les dieux les chevauchaient comme les autres. Autour de la faille omphalique, tes pères bien mieux que toi comprenaient l’importance de nos cérémonies, quand nous jouions, ensemble, tous, hommes, femmes, enfants, vieillards, la comédie et le drame de nos vies. N’est-ce pas d’une femme Scythe, il y bien des générations de cela, que provient ton germon ? N’est-ce pas de l’un des Argonautes qu’elle enfanta tes pères ? Elle était parente de Médée, initiée aux cérémonies des hyperboréens, aux mystères qui se jouent sous le dôme enterré dans les vapeurs d’herbe et les effluves du sol ? Ses filles, tes aïeules, n’ont-elle pas visité les mages de Perse, les prêtres d’Egypte ? N’avait-elle pas recueilli les chants des Garamantes, les murmures de Cassiopée, les poèmes de Saba, et ouï dire des hommes singes velus de l’Afrique chevelue ? Ta grand-mère elle-même, jeune homme bien rasé, ne vivait-elle pas dans les grottes de karst, en compagnie des sangliers, dans les collines du Nord où vivaient jadis les Cyclopes, où sont encore vivants les vieux cultes ? N’était-elle pas partie longtemps vers l’Est, au-delà du pays des mages, là où les ascètes adorent un dieu aux mille bras et au collier de crânes ? Ne parlait-elle pas de ces royaumes lointains baignés à ces rivages d’où sort Apollon sur son char, consumés d’interminables guerres dont nous ne savons rien ? On m’a dit qu’une grande couleuvre mâle partageait même son antre. Ta grand-mère, beau philosophe, n’était-elle pas pythonisse ? » 

La raison contre les mythes

– « Superstition, tyrannies des mythes ! Nous, philosophes, luttons pour dégager l’entendement de la gangue ancienne de la magie, des cosmogonies archaïques, des royautés enracinées dans le despotisme des mystères. La déduction qu’on fait sur l’hypothèse qu’on avance et que le réel confirme : voilà le credo. Sinon quoi ? Sinon l’émotion, la folie passagère, le démagogue qui flatte la foule, qui l’excite, qui l’enflamme, la lance par la ville forcer les portes des greniers et allumer des feux ? Ou bien préfères-tu, vieil homme, l’archaïque carcan des antiennes magiques, le vieil ordre croulant où vous les chamanes et les rois, vous entendiez si bien pour corseter l’univers et l’homme ?»

– « Les Athéniens en veulent toujours plus », tonitrue une voix forte résonnant d’accents d’airain et de marteau. « Ils ont raison d’être gourmands et ambitieux. Pourquoi ? Parce qu’ils sont raisonnables. Oui, la raison fait la grandeur d’Athènes. La raison est le fondement de sa supériorité politique et morale. Elle l’autorise à revendiquer l’hegemon sur les autres cités. Périclès les fédère pour leur bien. Elles doivent comprendre la beauté, la bonté et le juste d’Athènes.»

– « Elle est belle ta raison. Elle est belle la démocratie », gouaille d’au-delà la margelle, depuis l’ombre violine, une voix au fort accent rempli de borborygmes. « Périclès l’a imposée aux cités fédérées, comme une punition. La démocratie ou l’invasion, la démocratie ou les camps militaires aux portes de la cité ! Périclès a trahi. Le monde nouveau que tu décris est celui d’un début trahi. Mais, je te l’accorde : ce siècle est une première expérience où tout est déjà en germe.» 

– « Tant d’hommes de talent rassemblés à Athènes, en si peu de temps, sur si peu d’espace ! » s’emporte un jeune homme maigre à la toge douteuse, à la tignasse de nattes formant masse sous le bonnet de maille. « Est-ce leur génie ? Ou n’est-ce que l’occasion ? Quand la paix règne, quand l’or et l’argent circulent, le plus stupide des colporteurs remplit sa bourse. Génies de pacotille, talents d’occasion, talents factices, talents à la mode ! »

– «Talents sonnants et trébuchants, pour ça oui ! » coupe un homme depuis l’ombre. « Parlons-en des élites ! Socrate, Platon, Aristote, Périclès, Hérodote, Alexandre ? Tous cul et chemise. La même bande. Quelle autre raison plus grande a donc bien ta raison, ô beau philosophe rasé, sinon que de servir les puissants ?»

logique du conte, logique du compte

– « Votre raison », reprend le jeune homme maigre à la tignasse filasse, « c’est la logique du fer : la loi, la norme, la règle, celle que vous gravez à toutes les stèles de pierre plantées aux carrefours. Et même vous l’avez fondue dans le bronze ! Nos pères, les pères de nos pères, préféraient à vos lois la souplesse de la parole, l’accord, l’harmonie.»

– « Ne vois-tu pas que le monde a changé ? » rétorque index encoléré le philosophe aux maxillaires carrés. « Comment les vieilles coutumes pourraient-elles encore répondre aux défis d’aujourd’hui ? Jadis, toi vieillard que mes pères ont connu, tu prenais une barque, tu tournais le cap : les lois avaient changé, les temples abritaient d’autres dieux. C’était il y a longtemps. Les vaisseaux pansus, que protègent nos trirèmes, aujourd’hui nous mènent en quelques jours à Sidon, Tyr, Memphis, Cyrène, Syracuse, à Agathé Tyché ou Massa. Depuis, d’autres dieux ont rejoint dans le temple l’idole poliade. D’hors les murs ont afflué les métèques, les esclaves, les miséreux des collines et des plateaux trop arides, trop peuplés. La puissante Perse menace. Aristote peut bien conseiller l’autarcie. Si Athènes ne s’était pas tournée vers la mer, si Périclès n’avait pas imposé notre démocratie, nous échangerions encore nos sardines sèches contre l’orge plein de cailloux de Lacédémone !»

– « Vous chamanes, chenus ou jeunes, prétendus philosophes et véritables errants, n’êtes qu’une bande d’idéalistes, de rêveurs. Je construis des galères au Pyrhée. Je travaille dur, moi. Je fais commerce avec ceux du Pont. J’ai même, en ce moment peut-être, un navire au-delà des piliers d’Héraclès, parti chercher l’étain. J’importe le blé de Colchide, que vous mangez ici. Le pain de froment, vous en voulez bien, hein ? Mais vous ne voulez pas des règles, des sceaux, des mesures, des étalons pour l’acheter ! Comment sans eux fonctionnerait le commerce, sans des règles reconnues partout et par tous les marchands? Finies les disputes, les comptes et les cargaisons au jugé. Les lois faites sous le sceau de la raison sont bonnes pour le commerce. Athènes a écrit les paroles exactes. Tant mieux pour nous que ce soit elle qui l’ait fait ! »

– « Le sceau de la raison ? » rugit l’homme de l’ombre. « De raison, tu as la bouche pleine, et les bras chargés de plans de machines, de roues à dent, de cages d’écureuil, de poulies, de moufles, de bigues, de chèvres. Tu penses comme un calame, et non pas comme un homme. La belle mécanique ! Les portefaix par centaines que tu as débauchés, mourant de faim au bord des routes, entassés aux faubourgs dans des dolia crevées. Tu préfères tes engrenages aux travailleurs libres ! Même les esclaves pour toi mangent trop encore. Les engrenages ne mangent pas, ne se plaignent pas, ne réclament pas. Ta logique est celle du livre de compte. La voilà ta raison. La raison de ta raison. Ta mécanique est l’outil des patriciens, des trafiquants au grand large, l’outil du pouvoir de ta classe ! »

– « Les engrenages », renchérit le chamane à la tignasse, « conviennent bien aux machines. Mais comment pourraient-ils nous dire pourquoi reviennent les jours, les saisons, les moissons ? Vos articulations logiques sont souples comme les maillons d’une chaîne. Vos mètres et vos péroraisons de parchemin sont cassantes et rigides: on croirait l’insecte, et ses segments de chitine, pliant à peine aux joints. Notre mètre n’a besoin ni de calame, ni de stylet, ni de parchemin : il est en nous. Python seul a la souplesse nécessaire de dire au cœur des hommes les paroles qui cernent le futur. Platon même, quand il est au bout de ses raisons, revient au savoir bien usé, bien sûr, bien mûr des mages, seuls capables de faire leur part aux mystères. En peu de mots leurs bouches disent les mythes dont des mers de signes n’effleurent pas même le sens. Socrate raisonne et n’écrit pas : ses convives banquètent. La nourriture entre par la bouche des convives et la sagesse en sort. Comment pourras-tu jamais démontrer comment les enfants aiment leurs parents ? Crois-tu qu’on peut apprendre dans les livres ce que l’on est soi-même ? Crois-tu que les masques au théâtre, tout à l’heure, ici même, ne raconteront pas nos mystères bien mieux que, le licol sur la nuque, les scribes des rois, leurs nobles, leurs philosophes, leurs régisseurs, leurs marchands, leurs esclaves affranchis ? »

Parler est barbare

– « Tu insultes le savoir, sophiste ! », raille le philosophe carré de la mâchoire. « Tu insultes la science, toi qui la vends, contre argent, comme des carottes, à des marchands grossiers qui n’ont que leurs drachmes à la bouche, celui qu’ils dépensent pour ta rétribution, celui que leurs enfants gagneront grâce à ton verbe maquignon. Avocat parfois, précepteur de gosses de parvenus tantôt, secrétaire ici, rédacteur là, traducteur parfois, au gré de tes embauches : un colporteur n’est pas un philosophe. Oui, l’écriture est le savoir des rois. Oui, ses régisseurs gèrent ses domaines. Oui ses scribes notent l’or, l’argent, les pierres, les trophées, la richesse des citoyens, les contributions des alliés à la beauté d’Athènes. Oui la raison sert les rois, le mérite, la valeur, le beau. Oui, le fort est le maître de la raison ! » »

– « Ta raison te trompe », rétorque l’homme à la toge douteuse, « car si à quelque question qu’on pose, l’univers répondait par l’affirmative ? Se ferait-il que l’on puisse trouver quelque preuve à n’importe quelle conjecture ? Parce que l’étendue limitée des conjectures, infiniment inappropriées à leur objet, fait que toujours existe quelque partie du vrai qui les confirme ? » 

– « La parole » continue le vieillard, « n’est pas une loi qu’on grave dans la pierre. Elle est utile. Elle se décide. Elle se plie, elle s’adapte. Nos ancêtres la façonnaient à l’ombre de l’olivier millénaire, martelée longuement comme le forgeron la lame de bronze. Longs conciliabules et braves péroraisons. Et quand les gorges s’asséchaient, quand le souffle collectif chancelait, les aèdes pour le réanimer entonnaient encore les généalogies, les exploits des héros, les épopées anciennes. Sous le dôme à demi-enterré, on racontait les rêves, les angoisses, la torsion des viscères, la peur des esprits et des sorts que jettent les envieux. Alors quelqu’un s’écriait : toi là-bas, pourquoi m’en veux-tu ? Une voix entonnait le chant des symboles qui pansent. La voix partagée soignait les griefs, la colère, l’envie, les jalousies, les complots, les maladies du corps, les maladies de l’esprit enfermé dans le corps, et celles de l’esprit qui contient tous les corps. Toi qui respectes le théâtre qu’on va jouer bientôt ici, ce soir, au milieu de ces bancs, ne sais-tu pas que ses racines puisent au vieux culte ? Ne sais-tu pas que la raison est bien faible pour soigner les maux qui n’ont pas de nom !

– « Les charlatans… », reprend après une pause le vieillard d’une voix assombrie, « les charlatans vendent des potions dont l’efficace réside dans le secret jaloux de leur fabrication et le monopole de leur distribution. Les vrais thérapeutes – leur peau sent la chèvre et non le baume – soignent l’homme en entier. Ils soignent par la parole pour ce qu’on veut bien leur donner. Seule l’évocation, la parole, la musique, l’image vivante, recèlent l’efficace. »

– « Socrate n’a jamais écrit une ligne, sauf pour la liste des courses qu’il donnait à faire à ses esclaves », persifle une voix depuis l’ombre ceignant l’amphithéâtre.

– « Platon lui-même » continue le philosophe filasse à la toge crasseuse, « hésite à confier pleinement au calame les paroles du maître, comme si l’instrument ne suffisait pas à contenir sa pensée. L’élève a ouvert les bondes. Après lui, nous le sentons bien, les scribes le diront sans plus de retenue : parler est barbare. »

Parole d’air, parole de pierre

Mère-des-signes, technique, Athènes, logique, democratie, mythes,  raison, pouvoir, superstition, Socrate, Platon, sophiste, oralité, écriture,

– « Mon jeune ami a raison », s’anime le patriarche. « Les scribes n’aiment pas la parole au vol ailé. Ils n’aiment pas l’agora. Ils n’aiment pas les mots qui vont du pair au pair. Ils les veulent serrés, scellés, dans des bibliothèques, indexés, conservés, surveillés, bien gardés. Ils veulent la langue fossile, figée, servile. Bientôt leurs signes deviendront la nourriture unique de l’idée.»

– « Vieux chamane, qui connut mes aïeux, ne comprends-tu pas que les signes de Platon voyagent bien plus loin dans l’histoire, sur les mers et les routes, que les discours qui fuient avec la brise du temps et meurent avec les bouches ? Platon, Aristote surtout, défendent le privilège de la raison d’édifier l’ultime savoir, comme moellon après moellon on érige la muraille. Ecrire, c’est poser. Et sur cette première pierre construire. Bâtir, édifier, plus haut, toujours plus haut, et gagner en puissance. Le papyrus et le calame sont les outils de la raison. Un jour, grâce à eux, ratio et être s’identifieront. Pourquoi refuser de vivre avec ton temps, pourquoi refuser le progrès ? Veux-tu t’en retourner dans la caverne des pythonisses, Vieillard ? »

– « La caverne des Pythonisses est à l’abri de la foudre de Zeus, jeune homme dont j’ai connu le géniteur. L’homme bientôt ploiera sous le joug de sa propre raison. Après Platon, après Aristote, j’en suis sûr, viendra la longue théorie des demi-dieux, des demi-philosophes, des prophètes borgnes, qui diront que l’homme peut égaler le démiurge. Un jour viendra où l’homme se croira l’héritier raisonnable de dieu. Il se croira le maître du drame, quand il ne sera plus au théâtre des simulacres que la marionnette de sa nature. Je te le dis, jeune homme bien rasé: le savoir des scribes n’est qu’un voile de plus sur le visage du vrai. Oui, je le crains, le monde pivote aujourd’hui entre la parole d’air et la parole de pierre.

Certains n’ont que celle-là. Les paroles des modestes, de ceux-là, là haut, assis en dehors du cercle, leurs paroles s’envolent et comptent peu. Les autres font venir de Corinthe des blocs de marbre pour y graver leurs mots et en faire des lois. Ils font de l’agora l’annexe de leurs bibliothèques. La justice de l’olivier n’a besoin que de bouches, non pas de sceaux, non pas d’annales, non pas d’archives, non pas de coffres, non pas de scribes, non pas de secrétaires. Entre les chants des aèdes et les bibliothèques des riches, entre la parole et le stylet, entre la science des signes et le savoir des hommes, oui, le monde pivote comme ces étoiles au-dessus de nos têtes. Ton écriture, philosophe, bâillonnera trop longtemps la bouche des vivants. Vous vous trompez, nobles jeunes gens entogés. Votre jeune savoir n’est que jeune, non pas universel ! Combien de temps fera-t-il illusion : quarante, cent générations ? Les illusions de la raison ne sont pas éternelles. Sous l’écorce de l’arbre, non, l’alliance n’est pas rompue. La césure n’est pas définitive. Sous la croûte, le vieux monde des contes, des palabres, des métaphores qui aident à vivre grouille, vivace. Mais quand les mains des hommes seront brûlées, leurs papyrus réduits en cendre, c’est avec leurs gorges, leurs sanglots, leurs cris, leurs soupirs, leurs murmures, leurs caresses, qu’ils se réconforteront, se reconnaîtront, et décideront, sur l’agora, de leur destin nouveau. Car voilà maintenant ma question : comment déchirer les voiles dont vous recouvrez l’être ? »

coïto ergo sum

« Cogito ergo sum ».
Certes, mais avant de penser, il faut être,
ou plutôt exister.
Selon les grammairiens
« être » est un verbe d’état.
Etre est !
Ne pourrait-il pas l’être ?
De quel état parle-t-on ?
Pour lire ou entendre, il faut qu’oxygène
et glucose alimentent l’entendement.
Il faut que mon cœur ait battu,
le sang circulé
les synapses fulguré
l’univers tourné.
Etre est le mouvement d’exister,
l’appétence à perdurer et se maintenir singulier
dans l’instabilité et le flux
où se dessinent des vortex,
des môles de transiente stabilité,
les figures d’étranges attracteurs
comme des frondes pour propulser
dans le cosmos immense,
le destin des glébeux à la tignasse céleste.
Etre serait un verbe d’état ?

Oxymore ! Le verbe, c’est l’action, le geste,
l’onde qui ébranle le vide : la vie !
Comment l’action pourrait-elle être état ?

Puisqu’il faut naître pour penser,
il faut un coït au cogito.
« Coïto ergo sum »: je copule donc je suis !

Publié le Catégories Poésie

tachycardie

Des gueules noires s’étourdissent de bière dans l’atmosphère bleue de fumée et de rock d’un pub de Glasgow. Leurs machines se sont tues, à l’issue de plus d’une année d’une dure grève.
Jadis, ils étaient paysans ou pasteurs, vivant au rythme des éléments et de la course du soleil. Ils poussaient leurs moutons sur les parcours communs – les commons – dont l’institution plonge, avant l’histoire, aux racines du clan. Ils se heurtent bientôt aux clôtures fichées par le baron ou le shérif spoliateurs devenus gentleman farmer.

L’ordre du monde pivote, le clan perd sa vigueur, l’ordre nobiliaire s’affirme. Des galeries plongent sous les tourbes d’Ecosse à la recherche de l’anthracite aux veines qui taraudent de plus en plus profond. Insoucieuse de la marche du soleil, la mine enfourne trois fois nuit et jour sa cargaison bipède pour nourrir de puants hauts fourneaux qui vomissent de vêpres à matines leur bave rougeoyante et noire.

toile de Vera-Molnar.

De cette fonte on fait des rails et des roues, cordes et plectres des sonorités modernes, gongs des marteaux-pilon, sillon du diamant dans la houille de vinyle. Des rails balafrent la campagne, chaîne d’une toile qui drainent vers les villes les pasteurs devenus bêtes de fer, réglés par la pointeuse, le tour d’équipe ou l’amende de retard. Les métropoles bientôt tentaculaires stridulent, sonnent, tintent du bruit alternatif des limes, rotatif des tours, trépident du choc des pilons, du halètement asthmatique des locos qui s’éloignent dans une nausée d’escarbilles. Partition de fer et de fonte, hululements de la vapeur, striction suraiguë du sifflet, chuintement des fumées, trépidation térébrante, roulement et saccade, voilà la source de l’accord plaqué du riff tachycardique du rock !

Musique industrielle dans ce pub de Glasgow, où vibre en contrepoint comme un écho d’agonie la cornemuse farouche. Musique de résistance et musique de défaite. Défaite de l’Ecosse. Défaite du temps paysan devant le temps industriel. Défaite des mineurs devant la Dame de fer.
Morte la cornemuse, défunt le flageolet, oubliées les scottish, les rondes, les gigues, les farandoles qui tiennent encore au mai celtique. Les accords se plaquent et les riffs hullulent dans un temps débordant, instantané, saccadé, saturé, épuisé derechef, qu’il faut sans cesse remplir à nouveau, de clip en clip.

Tout est donné dans ce temps bref unique, à prendre, à jouir, de suite, d’urgence, dans l’anxiété de l’irrémédiable fuite de l’instant. Agitation, queues de poisson, klaxon, vitesse et excès, freinage d’urgence, radars, énervements, embouteillages, encombrements, agenda électronique, synchronisation des données, portable, alarmes et notifications, retards, avion raté, fulminations, ulcères et contractures : Chronos dévore même les ducs et les barons du nouvel âge sombre, traders, lawyers et businessmen, auto-esclaves d’un temps qu’ils assèchent à force de le pousser.

Quel changement ! Naguère encore les puissants marquaient une cadence tout autre. Le riche, le noble mesuraient leur aisance à leur désœuvrement. On menait du bout des doigts les dames au menuet. On savourait à petite lampée la ronde des aiguilles sur le cartel de bronze. On préférait les mélodies tranquilles au harcèlement du tympan. A petite foulée, par cols, vaux et forêts, de relais en relais, Jean-Jacques Rousseau, ralliait Genève à Lyon, à pas d’homme, dans un silence qui effraierait le moderne – dans la vallée, où roule lent le Rhône poussant de pesantes gabares, nul poids lourd, nul bolide. En route, Jean-Jacques se fait une amie et partage sa nuit.

Publié le Catégories Poésie

danser jusqu’à la chorémanie

Voici le début
de la glissade exponentielle
l’été sera celui des incendies.
on aimerait se mettre la tête sous le sable
pour ne pas voir la catastrophe
s’approcher à grands pas

Anxiété
Il fallait cela
la guerre
pour réveiller
les consciences.

Maintenant c’est septembre
l’été n’est pas fini.
L’optimisme s’efface
les vagues s’additionnent,
la suivante chaque fois plus haute.

Charogne des poissons morts.
L’été prochain sera le même,
au carré.

Les fourmis, les blattes survivront
débarrassées des stupides sapiens,
morts au berceau à trois cents mille ans d’âge
de géniale bêtise !

L’anxiété est diffuse et générale, le désespoir enthousiaste
dans la fulguration de tous les angles
que la catastrophe change
Angoisse

Plus de retour possible.
Les humains s’agglomèrent
préparant l’explosion
Leur arrogante confiance les condamne.

Oublier, oublier,
que le monde est perdu
que la seconde flambée sera pire
danser, danser,
jusqu’à la chorémanie !

Publié le Catégories Poésie

A ma peau suspendues tes caresses

A ma peau suspendues tes caresses
et mon cœur tout beurré de tendresse
ému par tes cris de ventre
dont résonne la forêt ténébreuse
qu’envient alanguis de leur belle
le cerf bramant ou l’ours réveillé
je vois tes yeux mon cœur

la flamme rieuse de ta taille menue
que mes mâles mains ceinturent
allongée désirablement nue
sur un tapis d’air et de lune

Seras-tu toujours cette perle
ce souvenir de génie
sous la voûte d’étoiles
de peau et de caresses
de pompes soyeuses
et de buccales délices
où nous berçâmes enfants
toutes les cosmogonies ?

Mémoires trop serrées pour y songer sans doute
car la droite, l’angle, le calcul président aussi aux couples :
les larmes, les déchirements ruinent même les pyramides
et le crêpe lourd ensevelit les enfants les plus beaux
solitude, force, fierté sont compagnes plus fidèles
qu’amoureuse de chair !

Pour seule promesse alors
un amour provençal aux journées belles
à l’azur si profond que les siècles y stationnent
où des avions d’argent ont des murmures d’insecte
où tes pupilles tracent des rayons légers
amour d’un seul été et de simple gaîté
qu’aucun hiver, oncques froidure
sans pâleur ni blessure
ne troublent nos rires clairs !

Publié le Catégories Poésie

En bleu de chauffe

En bleu de chauffe j’irai
ravauder cordages et filets
je laisserai ma lance
et oyant le tango
je trierai maquereaux et mérous
desserrerai l’étreinte trucide
des étoiles sur les coques

à marée basse
dans de petites flaques
je cueillerai les vers
poilus ou annelés
pour les offrir à la brune venue
à la blonde choisie

à marée basse
les crabes roulent comme des larmes
sur les rides des vieilles femmes
nous ferons le tour de leurs coiffes en tandem
nous les amidonnerons de nos semences
qu’elles rient, qu’elles rient les débris
qu’elles montrent leurs râteliers jaunis
et toute la sombre
végétation de leurs gorges affaissées

En tandem cul et selle
nous jetterons à poignée
au soleil le sel des marais
que de pousses, que de pousses vertes
de grasse salicorne !