homo de novo

Comme ces sources étonnantes
où Borvo se mire dans l’azur
d’une vasque de pleine lune
et un bassin carré,
la Chine repose sur une tortue
animal singulier à la carapace
ronde dessus et carrée en dessous.

π se devine en gésine
dans l’ondoiement des formes,
entre réel et rationnel.
Mais au fond de la boîte de Pandore
guette l’œil sombre de
l’hydre du lemme
les pyramides de nombres,
du Big Data, de l’IA !

Naïfs et confiants
fellahs, scribes, manouvriers,
marchands, seigneurs, prêtres
servent les puissants,
mais tous ignorent
sous les guises de l’histoire
le fond de leur moteur

L’histoire semble passer lentement
goutte à goutte, jour à jour, saison après saison.
Mais vu des empires qui défilent,
des espèces qui fluent et des magmas qui roulent
le spectacle est fugace

Seul Dieu, s’il existe ce Polyphème borgne,
possède la clé du film qu’il rejoue à sa guise
projetée à vitesse réglable sur un écran de nuages
assis dans un fauteuil du même bois
tout piqué d’étoiles et de comètes

« J’écris les chiffres que je dis
je dis les chiffres que j’écris »
.
Voici l’amorce.
En quelques itérations
elle déchaîne l’explosion logique des instants et des nombres.
La parole fut pour l’homme l’étincelle qui démarra
l’ouragan cognitif. Il dura plusieurs millénaires
montrant un pic exponentiel avant l’effondrement.

« N’ayant su domestiquer son animalité.
imbue de la puissance de son illusoire raison
l’espèce dont je vous parle
n’a pas su inventer une sentience adéquate
des règles, un désir, un projet, des rêve viables.
L’accident, quasi instantané, est tout au plus vieux
d’une dizaine de millénaire.
Le groupe rescapé…une centaine de milliers…c’est bien ça ?…
Non, Votre Omniscience, une dizaine, susurra d’une voix de flûte une elfe timide.
Où avais-Je la tête ? Dieu la bénit et reprit:
Le groupe rescapé, disais-Je, est sorti de la liste des espèces en danger –
sinon à quoi ça sert que Dieu y se décarcasse ? –
galéja le Tout Puissant.
Elle est trop mal stabilisée pour être encore baptisée.
Le recul manque pour savoir si le reliquat encaissera l’uppercut,
prolongera ou non son genre et dans quelle voix.

Mais le principe d’un suivi régulier est acquis :
1 -point d’étape séculaire
2 -suivi de détail tous les millénaires bissextiles,
3 – revue générale chaque million d’années,
4 -même date, même heure, même lieu, en espace temps local évidemment
5 -restez branchés qu’on puisse vous toucher 7/24 !
Pas plus de trois ou quatre éternités de retard.
Je serai intransigeant !
En cas de doute, demandez à Cantor.

Good job guys !’

conclut Dieu,
toujours aussi patriarcal et avare de louanges,
en rompant l’intemporel conclave d’anges
aux genres indécis
qui s’envolèrent dans un grand frou-frou
d’ailes versicolore.

Le crash fut lourd.
Massifs et lents paquebots
les cultures s’ancrent
dans l’humus des symboles et credo
résilients comme chiendent
funestes ou fortunés
plus lourds à manœuvrer
que redresser les fleuves
creuser les mines
bâtir les aciéries

Ils s’imaginaient faire renaître des dinosaures, les aurochs…
Mais pas plus qu’on ne démélange un expresso noisette
jamais les gènes ne remontent le flux.
Incapable de se remaçonner
la montagne s’effondre

La vie ne tiendrait pas
sans qu’à l’intime de nos métabolismes
s’associent ribosomes, bacilles, blastes,
pour sans cesse reconstruire
le corps qui nous maintient vivants
dans nos carapaces de villes
nos glaires de symboles
de sentiences, de savoirs et de sciences
qui convergent pour
arracher Narcisse au puits des passions brunes
dont fond duquel il imagine
l’étroite lunette bleue au-dessus de sa tête
embrasser tout le ciel
avant que cède une rustine
ou pète l’anévrisme.

Tout le vivant partage à même lot
le fardeau d’entretenir la flamme
d’acquérir carburant, comburant
excréter les toxiques
de sa vitale combustion
âpre realpolitik de la thermodynamique
vivre est un travail, un effort, une douleur
sarvam dukham !

De l’avoir oublié est mort à tout jamais
homo sapiens sapiens tel qu’il serait devenu
sans la catastrophe que sa démesure causa.

Si elle survit, l’espèce sera neuve
héritant seulement d’une fraction des gènes
du stock d’avant l’étranglement
racine pivot d’un vortex de novo
qui ne sera plus
homo sapiens sapiens.

Le béton est le récif en moins beau,
que se bâtit l’humain
comme le polype exsude son corail
Ses tours, ses ponts, ses ports
moulent son espace-temps,
comme l’hydre construit le sien
dans l’expérience de son corps tuyau
où courent les fluides.

L’amibe ignore la boite de Pétri
où elle se vautre et bâfre,
pas plus que le fleuve ne sent les berges
entre lesquelles il coule
pas plus que le mollusque dans sa tunique de gélatine
n’interroge ses raisons de coller au récif.

Pas plus encore que les fourmis n’ont le plan
des fraîches mégapoles
myrmicoles
à l’urbanisme tout rationnel qu’elles bâtissent sous terre,
les humains n’aperçoivent les facettes du cristal
où joue en vase clos leur aveugle entendement
dans le clair bocal des évidences obscures.

Au ponant, des bâtées de béton,
de plexiglass, d’acier, de macadam, de silicium,
coulent dans leurs caboches
et dans leurs iris flamboie un lourd soleil rouge
saignant aux miroirs polis des gratte-ciel,
où claquent les oriflammes
des républiques, des empires.

Ils se livrent de furieuses guerres de gènes
grimées d’oripeaux d’honneur et de culture.
Ils s’imaginaient faire renaître les dinosaures, les aurochs…

« Te souvient-il, Pierre,
de nos jeunes jours
quand munis de percuteurs de pierre
dure des montagnes
achetés cher deux grains d’ambre
dans un grand concours de danses
de fleurs, de couleurs sur la peau
et les jeunes corps en ronde mimant
autour de nous la course des bolides au ciel
ici même en ce lieu vénéré de tous temps
par nos pères et mères où sourd l’eau pérenne
nous taillâmes ces deux vasques peu profondes,
l’une ronde, l’autre carrée avec entre elles une rigole ?
-Comme si c’était hier ! »

Illustration: fontaine Saint Patrole à Colombier, Allier

Une réflexion sur « homo de novo »

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