éthologie moderne de la girafe

La girafe volante est une espèce fréquente sous nos latitudes bien que rarement aperçue. Tournoyant par troupeau en altitude, son pelage violet la rend peu discernable sur l’outremer de la plupart de nos nuits.

En août, il arrive qu’on repère leurs troupeaux sous forme de grappes d’ombres filant en silence devant l’averse d’étincelles des Céphéides plongeant dans l’anneau lactescent de notre galaxie. Plus rare encore ce spectacle d’une aurore méridionale déployant avec une lenteur magistrale ses draperies chatoyantes que griffe le vol noir des ruminants ailés.

Peut-être ému d’une telle beauté, le pelage de l’animal se met alors à palpiter, virer à l’or, à l’émeraude, au rubis, au saphir, à un diamant si limpide qu’ils font comme des yeux ouverts sur des abîmes d’encre. Oui au ciel la girafe partage avec le calamar et les poulpes au fond des lagons l’aptitude surprenante à montrer ses émotions en palpitant de couleurs !

En rêve on voit parfois le troupeau entier synchroniser ses moirures. Alors à l’œil chanceux advient un singulier phénomène: comme à Montélimar le caramel fige sur les amandes du nougat blanc, l’espace entier se coule dans une forme de marbre. Oh certes elles glissent les girafes mais au fond rien ne se passe ! 

Les girafes sont friandes de fleurs colorées poussant au sommet de lieux à long panorama : éminences, monts, buttes, mottes. Car comme au flamand rose, leur pitance leur fournit les couleurs. C’est pourquoi elles batifolent en rase-mottes pour gober suffisamment de lucioles, source des photons de la parade amoureuse qu’elles offrent aux nuits d’été.  Une seule espèce de pétale leur est toxique : l’orchidée de l’homme pendu (1).

Cette plante affectionne les anciens gibets. Si, comme au-dessus de la croix de Romans (dit « rond-point des Gilets jaunes »), vous habitez près d’un ancien lieu de supplice, alors s’il vous plaît, éradiquez l’orchidée pour préserver la girafe !

C’est un mythe que ces ongulés, comme les martinets, voleraient en dormant. Ou encore que leurs lèvres préhensiles au bout de longs cous au terme de longues pattes jamais ne frôleraient la boue où s’engluent ces étincelles de lumière qui sont l’âme des hommes. Nostalgie de l’étoile !

Sûr à l’inverse qu’elles évitent à tout prix de se poser au fond des vallons. Car dès disparu le dernier rayon de lumière, l’air soudainement refroidi interdit tout essor. Bien lamentable le sort de ce héron – cousin éloigné de la girafe comme le poulet du dinosaure – aperçu un crépuscule d’hiver entre Beaufort et Mirabel pris au piège du puits froid d’un val froid ombreux, condamné à une longue nuit d’anxiété et de périls loin de ses aimés.

Comme certaines pipistrelles, la girafe volante violette est cavernicole (2).

Mais à la différence du héron, qui sommeille vertical, la nuit la girafe en rêve perd consistance. Elle gonfle et flotte libre comme un ballon d’hélium. Sans le plafond d’une grotte, un courant d’air, une bousculade et la voilà évaporée dans l’encre de l’éther ! Aussi les girafes violettes n’ont-elles survécu que sur les planètes à gravité.

Si Newton avait vu une girafe s’envoler plutôt qu’une pomme tomber, que seraient devenus la physique, le monde et tous ses avatars, les quarks, les gluons, les baryons. Nos corps seraient-ils sans pandémies ? Que serait Marck sans Méta ?  La terre serait-elle plate, le phénix réveillé de ses cendres, l’unique naîtrait du même, à jamais demain serait comme hier, le vieillard inhumerait le nourrisson, poule et faisan auraient même ramage, esclavage et liberté se contempleraient en miroir ?

A t-on jamais vu un oranger sous le ciel irlandais ? Absurde ! Fieffés fols qui prétendent que les girafes s’hybrideraient aux poissons volants ! Un peu de bon sens, enfin ! Un petit oiseau, un petit poisson…mais comment s’y prendre ?


1 –Orchis anthropophora

2 – Contrairement à sa cousine pourpre.

Publié le Catégories Poésie