Pas moyen d’entrer au musée. Un gros chien noir, poil hérissé, babines retroussées, crocs apparents m’en interdit l’accès. Aucun propriétaire à l’horizon : il faut l’intervention du personnel de l’établissement pour éloigner le cerbère. Combien de touristes ont-ils rebroussé chemin devant le fauve ? Accueillir ainsi le visiteur, sont-ce les us d’Uzès?
Mes pas m’entraînent ensuite vers la belle et verte vallée de l’Eure. L’endroit est idéal pour faire prendre l’air à toutou. Ils sont nombreux en effet, une bonne moitié laissée à divaguer en toute liberté. Pourtant partout des panneaux indiquent que les chiens doivent être tenus en laisse.
Je vois un cabot déposer sa crotte sur la pelouse et deux mamans apeurées vite mettre à l’abri leurs poupons vers lesquels accourent des molosses. « N’ayez pas peur, il est gentil », s’exclame sans manquer le propriétaire. Tous les ans de tels animaux « gentils » tuent plusieurs enfants et quelques autres chiens. J’ai été agressé à l’âge de quatre ans par un berger allemand, dont je vois encore la gueule énorme à hauteur de mon visage. Depuis, je ne peux réfréner ma frayeur. Et l’animal « gentil », sentant ma peur, devient agressif. Combien de temps admettra-t-on que l’agressé ou la maman apeurée devront courber la nuque devant la brute, subir d’amères disputes quand le droit est pour eux ?
La police municipale m’indique qu’elle est là pour faire de la médiation. Il y aurait donc deux lois : l’une, pour ceux qui la respectent, l’autre, négociable, pour ceux qui la jugent facultative. Que reste-t-il de la loi si elle est négociable et que des autorités laxistes la prennent par dessus la jambe ? Crest dans la Drôme est une cité comparable en taille à Uzès. Récemment, le stationnement anarchique des cycles a soulevé une polémique. On a vu fleurir des affichettes collées par des cyclistes outragés où se voyait une automobile stationnée sur le trottoir en regard d’une bicyclette parquée à l’arrache. Quel sens cela a-t-il ? Puisque l’automobiliste ne respecte pas la loi, pourquoi la respecterais-je ? C’est un cercle vicieux : une incivilité en justifie une autre. Et bientôt s’installe une atmosphère de suspicion et d’insécurité générale, tandis que se délite le vivre ensemble. A Singapour, où grandirent mes filles, on ne maquignonne pas avec la loi. Résultat : une jeune femme rentre chez elle de nuit en toute sécurité. La civilité ne se divise pas ! Combien de temps encore faudra-t-il subir l’animalité du maître, sur l’attitude duquel toutou calque son comportement ? La démocratie, c’est fait pour les chiens ?
Une émission de salubrité publique à n’en pas douter que propose France 2 ce soir 17 juin 2025. C’est probablement un des mérites de cette émission où intervient le psychosociologue Sylvain Delouvée que de dépasser le concept fumeux de race pour analyser le racisme, bien plus pertinemment observé sous l’angle des préjugés de toutes sortes qui affectent les jugements que l’on porte sur l’autre dès lors qu’il diffère de nous.
Qui présente l’émission ? Marie Drucker. Qui est Marie Drucker ? La fille à son père ! Aussi est-il peu douteux qu’une très large partie de ce phénomène qu’on appelle le racisme restera dans l’angle mort des préjugés de classe. Marie Drucker, de bon et beau sang, de race bleue n’est-elle pas plus compétente qu’une vulgaire quidam qui ne pourrait se prévaloir que d’un talent, voire d’un génie des plus communs ?
Qui de mieux qualifié-e que celle ou celui qui partage mes valeurs, mes goûts, mes standards, mes diplômes, mon langage ? Quoi de plus pernicieux qu’un préjugé innocent sans couleur, sans odeur, sans saveur et qui oriente perversement mes préférences en les faisant passer pour un choix objectif ? Aussi probablement lors de cette émission le biais oligarchique sera-t-il d’autant plus massif qu’il restera inaperçu. D’autant plus indéboulonnable que paraissant s’indigner du viol de belles valeurs morales, il s’agira surtout – en tout aveuglement – de promouvoir en même temps que notre noble cause nos intérêts de classe et notre agenda politique, à nous les gens biens, à nous les oligarques qui du haut de notre mépris envers les Puants – ainsi les nobles Incas nommaient-ils la populace paysanne selon un schéma toujours actuel et que l’on vit vivace lors de la crise des Gilets jaunes – alors que débordants de charité, nous défendons les valeurs éclairées et humanistes de notre racisme de classe contre la turpitude morale des obscurs racistes ignorants de la plèbe. Que voulez-vous ? c’est dans la nature de la populace que d’être raciste !
Publié à Taïwan, c’était une sorte de National Geographic qui en reprenait même le code couleur. Le numéro en préparation portait sur l’architecture de Shanghai, métropole au riche patrimoine art-déco. L’éditeur était un ami et sachant que j’en venais m’avait sollicité. Grand fouineur, insatiable curieux, ethnologue de formation et d’inclination, n’hésitant jamais à grimper dans les immeubles, à pénétrer les courées, à parcourir les nong (弄 : ruelle), j’avais en effet pas mal de clichés. Mal en prit toutefois à l’ami éditeur de faire un tour à Shanghai et d’y rencontrer l’Association nationale des photographes de Chine : 中国摄影家协会 – zhongguo sheying jia xiehui. En Chine, on ne s’associe que sous l’aile du parti. Avec les arguments difficilement résistibles, qui sont ceux du PCC, « l’association » le persuada d’utiliser ses propre clichés, pas les miens.
Quelques temps plus tard je croisai à nouveau mon ami éditeur. L’air maussade, il m’avoua que son numéro sur l’architecture de Shanghai avait fait un flop. Tous comptes pesés, il aurait préféré mes photos. Je parcourais le numéro en question : les illustrations en étaient positivement chiantes, ternes, convenues, géométriques, vides de vies et de corps. Des photos techniques d’architecte plus que du photo-journalisme.
Arte a récemment diffusé un reportage sur l’Estonie, pays dont la population est aux deux tiers russophone [1]. Plusieurs voix témoignent de la bonne vie qu’on menait alors sous le couvercle soviétique. Constats tout empreints de nostalgie étonnamment semblables à ceux qu’on peut recueillir en Crimée ou en Allemagne de l’est, en Hongrie, voire en Chine, pour les anciens du moins, ayant connu l’ère maoïste et son bol de riz en fer, quand il suffisait de se laisser porter, études, travail, appartement, lieux de vie et de vacances, tous assignés par le parti. Aucune liberté mais comme on vivait bien en ces temps là ! Tout le monde avait un emploi, les loyers étaient peu chers, la vie également, la santé était gratuite et on avait des réfrigérateurs !
Mais voilà, tout cela n’était qu’économie Potemkine : du stuc joliment peint [2]. Les réfrigérateurs, les loyers pas chers, le boulot pour tous, tout cela n’était qu’artifices permis par l’économie de guerre, dont la menace toujours ravivée faisait office de ciment national. Ainsi en Estonie, les habitants de Sillamaë ne devaient-ils le chauffage gratuit qu’à l’usine secrète d’uranium. Pourtant, les bienfaits socialistes ne profitaient pas à tous, seulement aux privilégiés soutien du régime, classe d’ingénieurs, de techniciens, d’apparatchiks, aux beaux appartements et aux villas de loisir réservés à leur seul usage. C’est toujours vrai en Corée du nord [3] et de façon moins accentuée en Chine.
Car des babouchkas, des néo-moujiks, des déclassés, des refusés et des refuzniks du système, on n’entendait guère parler, pas plus qu’aujourd’hui de la misère des Coréens du nord. Jean Kehayan [4], longtemps correspondant de l’AFP à Moscou, dépeint dans son ouvrage « Rue du prolétaire rouge » une scène poignante dans un supermarché d’Orange où ses hôtes soviétiques fondent en larmes devant la profusion des étals, comprenant soudainement l’escroquerie d’un système auquel ils avaient jusque là cru corps et âmes. Et c’est bien parce que mes photos montraient l’arrière des façades Potemkine et leur misère qu’elles étaient inacceptables au commissaire politique – il y en a nécessairement un – de l’Association des photographes de Chine.
Voir note en fin de page
Potemkine ne pouvait pas tenir et ça s’est effondré. Pour le malheur du prolétaire et le profit des oligarques, de l’est comme de l’ouest. L’URSS vivait tout simplement dans un monde fictif où n’avaient cours les lois d’airain de l’économie. Le confort, l’aisance, la santé ont un prix ne serait-ce qu’environnemental quand sont confondus stock et trésorerie, inventory and cash-flow : un seul exemple parmi une myriade, la mer d’Aral asséchée, trésor de biodiversité dilapidé pour quelques acres de coton !
Ain’t no such thing as a free meal
Mais à l’abri derrière leurs remparts, d’où ils lancent les rezzou qui leur ramènent, à eux et leur peuple des trésors dans les caisses, les empires et leurs peuples croient pouvoir s’affranchir des lois de la nécessité.
“There ain’t no such thing as a free lunch”, est le titre d’un ouvrage de l’économiste ultra-libéral Milton Friedman. Il reprend un dicton anglo-saxon populaire: “Un repas gratuit, ça n’existe pas ». Le pain doit être payé à son juste prix, sinon plus de boulangers, plus de laboureurs, plus de blé. Quelqu’un quelque part paie le juste prix. Le plus souvent celui qui occupe une position politique mineure quand bien même son nombre serait majeur.
“There ain’t no such thing as a free lunch”: dicton frappé au coin du bon sens à conditiond’immédiatement le nuancer massivement : « Pas de paix, pas de bonheur, pas de paix sociale si la société ne s’organise pour que chacun, sauf nécessité de maladie, vieillesse ou handicap, par son effort personnel et collectif, soit en mesure de se procurer dans le respect des autres et des nécessités universelles, les éléments indispensables à sa vie et celles de ses germons : nourriture, toit, vêtements, chaleur. Voilà les premiers droits humains ». La brioche ne remplace pas le pain. Il faut un jour payer le blé à sa juste valeur. Son prix se ne paie pas aujourd’hui, mais à tempérament sous l’horizon du court terme.
Imaginer qu’on puisse s’affranchir du consensus politique est aussi délirant et dangereux que de se croire libre des lois d’airain de la nécessité, économique, reproductive ou thermodynamique. C’est là bien pourtant l’illusion à quoi succombent les enfant gâtés grisonnants de Prométhée et des Trente glorieuses et leurs sauvageons rejetons. Les yeux aveuglés d’utopie, ils distribuent des bisous gluants de charité et de bons sentiments et s’imaginent toujours résider au sommet de la tour d’ivoire d’Occident dispensant sur le monde les lumières universelles de la raison.
Qu’il leur est doux de croire comme au bon vieux temps de la guerre froide, des Trente glorieuses, de la guerre du Vietnam et du flower power que les arbres montent jusqu’au ciel, comme on dit en bourse juste avant le crash. Qu’il est agréable d’imaginer que les gras avantages dont ils bénéficient dérogeraient à l’histoire, ne constitueraient nullement une conséquence des logiques de pillage des empires, de minerais, de bois précieux ou corps « d’exilés », tandis que leurs nobles âmes resteraient immaculées. Imbus toujours de leur supériorité, ils s’imaginent les tyrans fondre en larme à leurs protestations de caresses, les despotes comprenant soudainement combien ils sont méchants et nous gentils.
Aucun royaume, aucun empire ne résiste à terme à la colère populaire. Alors, il faut la guerre. La guerre qu’on déclare s’entend. Car la subir et se défendre, refuser la servilité, n’est pas la provoquer. Il faut une guerre, qui sacrifie tout à une menace supposée. Menace soigneusement entretenue par les régimes défaillants, car faute d’adhésion populaire, le bellicisme forme le ciment par défaut d’une nation. Ailleurs, faute de mieux et d’eschatologie, la croissance tient lieu d’étendard. Mais las, l’aisance économique a, elle aussi, un coût caché, celui colonial du pillage, celui de la guerre larvée sous les camouflages humanitaires ou missionnaires.
Nous Européens de l’Ouest, nous Français, ne sommes nous pas comme les Soviétiques d’Estonie, de Crimée, ou des satellites d’Allemagne, de Serbie… en train de regretter un paradis d’artifice tout habillé de généreux et hypocrites sentiments? Ne regrettons-nous pas le village Potemkine ? Ne regrettons-nous pas les belles couleurs et les fraîches peintures, le plein emploi, les généreux revenus, les confortables retraites consommées aujourd’hui aux débours du futur, de la jeunesse qui monte, ce prolétariat d’un type nouveau ? Et ces Trente glorieuses n’étaient-elles pas au fond – raffineries ici, assèchement des marécages partout (on dit zones humides aujourd’hui), remembrement, redressement des fleuves, raffineries, centrales nucléaires – le décalque inversé du socialisme soviétique ? N’était-ce pas de l’aisance à tempérament ? N’était-ce pas toujours du colonialisme pilleur d’humains qu’ont fit venir à grandes brassées nous enrichir, quand leurs bras et talents manquent aujourd’hui aux lieux où ils naquirent et d’où les extirpa la misère qu’on leur fit.
Car cette richesse que nous avions, n’était-elle pas le produit du pillage du barbare, du nègre resté encore enfant, de l’Indien natif incapable de faire rendre à ses terres le profit maximal [5] ? Et nos bons et généreux sentiments n’étaient-ils pas ceux que s’autorisent les riches au ventre plein et aux maisons chauffées, indignées par la grossièreté des sentiments obscurs de la populace et sans dents et raciste ? A Rome, au tournant de l’ère, certains nobles romains ne s’émurent-ils pas du mauvais traitement des esclaves, remontrant qu’ils nous serviraient mieux si on les traitait moins mal ? Spartacus et son armée de milliers soulevés montrèrent toute leur ingratitude.
Nous la France aux assemblées grisonnantes, à la pensée roidie comme nos articulations, n’en sommes nous pas à regretter notre union soviétique, celle du flower power et des hippies quand suivant Derrida et Foucault, nous voulions tout déconstruire, croyant que sur la coupe rase ou la page blanche de Mao renaîtrait une nouvelle forêt ? Qu’a donc poussé à la place ? Des Thiel, des Musk, des Trump, des Bezos ! Héros nouveaux des temps libertariens, ils prolifèrent sur la déconstruction, sur l’atomisation narcissique, sur la destruction sociale, qu’appelle de ses vœux Ayn Rand, dont rêvait Nietzsche et son surhomme gammé qui maniait le marteau comme aujourd’hui d’autres la tronçonneuse !
V.S. Naipaul, Indien d’Inde né à Trinidad et Tobago, écrivain, journaliste, grand voyageur à la pensée sensible nourrie d’une profuse expérience des peuples, montre au filigrane de son œuvre combien il est difficile à une nation de collectivement admettre son appauvrissement et plus encore soutenir l’amputation psychologique d’avoir chuté du trône.
Elle continue à jeter sur le monde le regard condescendant acquis comme un réflexe au temps de sa puissance. Erreur d’appréciation lourde de périlleux futurs quand s’ankylose la souplesse collective et se calcifient les alternatives que porte la jeunesse aux germinales exubérances.
Note: Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas retrouvé les clichés publiés dans le Géo taïwanais, bien que j’en ai une mémoire toute photographique. Les deux premières images que présente le diaporama ci-dessus ne sont donc pas de l’Association des photographes de Chine, dont toute la production n’est pas au demeurant mauvaise. Ce serait faire insulte à certains miens collègues photographes de prétendre le contraire, surtout s’agissant de clichés clandestins réalisés par ces mêmes collègues en marge de leurs travaux officiels et circulant sous le manteau. Toutefois l’illustration que je propose est fidèle dans l’esprit (et même encore trop « bariolée ») à ceux qu’avait fourni l’Association des photographes de Chine.
[2] Potemkine, amant de Catherine II, fit dresser un décor de jolies façades le long de la route suivie par la tzarine pour masquer la misères des villages traversés lors de son inspection en Crimée où elle avait envoyés des fonds pour améliorer la vie de ses sujets. Fonds détournés comme il se doit en dictature. Gogol parle de cela dans « Le Révizor ».
[3] Comme il se voit dans un documentaire (en chinois sous titré en anglais) réalisé par un Coréen de Chine le long de la frontière entre les deux pays, seulement séparés par la rivière Yalu- 雅鲁河. Nombre de sino-coréens ont de la famille en Corée du nord. D’où l’intérêt des informations de première main qu’ils fournissent, d’autant que des contacts – pour des raisons de contrebande impliquant des garde-frontières nord-coréens – subsistent. Un témoin explique que lorsque la frontière n’était pas encore électrifiée, la police nord-coréenne venait même cambrioler des intérieurs chinois. Pour voler quoi ? De la nourriture ! Dans le dit documentaire, on peut comparer villes chinoises grouillantes d’activités et nord-coréennes désertes et mornes. On entend un sino-coréen expliquer que les belles villas qu’on voit à la frontière sont réservées aux cadres du régime – notamment ceux du nucléaire – qui viennent de Pyongyang s’y reposer avec leurs familles, capitale où ils ont la jouissance exclusive de centres commerciaux bien achalandés, de piscines, de centres de loisir, station de ski, etc.
Ces villas, proches à toucher de la rivière Yalu forment un contraste saisissant avec de misérables cahutes à proximité qui sont celles du « moujik » nord-coréen. La frontière a été électrifiée, car si jusque dans les années 80, Chine et Corée du nord étaient à parité en termes de pouvoir d’achat par tête, ce n’est plus le cas. Il est donc vital pour le régime que les Coréens du nord ne puissent visiter la Chine, se rendre compte de leurs yeux du fossé économique qui s’est creusé et des mensonges de leur gouvernement selon lequel l’Ouest n’est qu’un océan de misère et d’injustice, Ouest dont les agressions seraient la raison de la dure vie que mène la Corée contrainte de résister à l’ennemi. On note dans nombre de vidéos chinoises un mépris affiché envers les Coréens du nord, mépris qui se nourrit aussi envers les Russes, pour des raisons comparables. Quant aux apparatchiks et privilégiés du régime nord coréen, mieux informés de la situation internationale, il semble que parmi eux règne un intense alcoolisme tant est intense la pression de cette dissociation cognitive et le l’état de mensonge intérieur permanent qu’elle impose. On notera le parallèle avec la doxa officielle russe. Il ne faut pas douter que la situation nord-coréenne constituerait le destin de l’Europe si Vladimir Poutine et son allié Trump prenaient la main sur nos destins. Malgré mes recherches, la vidéo filmée le long de la rivière Yalu, dont j’avais enregistré la référence, semble à ranger parmi les « disparues » selon un message de You Tube.
[4] Jean Kéhayan fut président du Club de la presse de Marseille où je le rencontrai.
[5] Ainsi à l’Usine nouvelle de Crest (Drôme – mars 2025), des paysans indiens du Brésil, conviés par la Confédération paysanne expliquèrent-ils avoir reconquis leurs terres par la force. Dans le procès qui s’ensuivit leurs adversaires les accusèrent d’avoir laissé en friche des terres auparavant productives. Mais eux dirent que c’était volontaire, et non paresse, et qu’avait refleuri une flore et une faune auparavant appauvries par les cultures et engrais productifs.
Quelque part entre jungle et désert, le Sahel où pérégrinent les Peulhs. Devant moi assise sur une natte posée à même le sable une très jeune femme, et sur ses jambes croisées un bébé qu’elle allaite. A la manière dont on marque le rythme sur des cordes de guitare, de la main gauche elle caresse le sexe de son enfançon: il est en érection. Tout en tétant un sein il caresse doucement l’aréole de l’autre. Comme dans une forme de rêve, les pupilles dilatées de la jeune femme fixent un indéfini lointain. Il y a dans cette scène, sans gêne ni ambiguïté, comme une étrange et salubre sensualité. Ainsi doit-on former d’excellents et respectueux amants au sein de cette nation peulhe où les mâles se disputent les cœurs des jeunes femmes lors de concours de beauté.
J’ai suivi à l’université des cours de psychanalyse. Nul n’est parfait ! L’enseignante ne cessait de revenir sur le terme phallus. Aussi l’interrogeais-je sur la signification du mot : « Il ne faut pas le prendre au pied de la lettre. C’est un concept pivot, central, pas un objet ».
Ah !? Ainsi un phallus ne serait pas un phallus. Mais alors pourquoi précisément ce mot ? A cette réponse je songe toujours et m’interroge plus encore sur la perversité polymorphe que Freud prête à l’enfance peut-être pour masquer la sienne propre [1].
[1]Le « Livre noir de la psychanalyse », sous la direction de Catherine Meyer est un ouvrage collectif rassemblant quarante contributions empruntant à plusieurs champs disciplinaires et questionnant tant la scientificité de la psychanalyse et l’honnêteté morale voire délictuelle de son fondateur.
Un trou d’eau dans un paysage à couper le souffle où touristes et locaux ont pris l’habitude depuis la nuit des temps (la grotte de Tautavel à proximité fréquentée depuis le paléolithique en témoigne) de venir faire trempette pour échapper aux canicules des Pyrénées orientales. Une histoire que raconte le film « Ici rugissaient les lions » de Laurine Estrade et Jean-Baptiste Bonnet, présentée ce 23 mars 2025 au Campus d’Eurre (26) dans le cadre de l’excellent festival « Les yeux dans l’eau ».
Mais voilà ce trou d’eau est le puisage unique du territoire. Avec la montée des températures et la « démocratisation » de la bagnole, sa fréquentation a explosé, ce qui n’est pas sans conséquences sur la potabilité des eaux ni les milieux naturels. Alors la préfecture décide d’interdire la baignade. Presque un réflexe depuis quelques décennies, où pour des raisons de responsabilité des édiles on a préféré la sécurité juridique à la liberté de se rafraîchir. Nécessité de rafraichissement de plus impérative, voire vitale, à mesure que la température monte. Du moins pour ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir une piscine.
Les baigneurs ne l’entendaient pas de cette oreille et résistent de toute l’inertie que permettent le costume de bain et les flip-flop : le grillage devient étendoir à serviette, franchir les fils de fer offre l’occasion d’un peu d’assouplissement et aux gamin.e.s de cours préparatoire le panneau « Interdiction de baignade » de s’exercer à la lecture. Tant et si bien qu’en peu de temps le grillage pend lamentablement. Face à cette silencieuse vox populi, les autorités renoncent pitoyablement.
Une histoire de baignade qui ne pouvait manquer de résonner dans le Diois suite à la réhabilitation de la gravière des Freydières, entre Drôme et Grâne, qui souleva une vive contestation lors d’une présentation du projet à la salle communale d’Allex, où l’auteur de ces lignes était présent. Pourtant, un peu à la manière des zones à faible émission (ZFE), le projet était, sous un certain angle, exemplaire. Exemplarité dont témoignèrent Lucile Beguin, conservatrice de la réserve naturelle des Ramières, ou encore un écologue travaillant à la réhabilitation du Roubion. Où alors était le problème ? Que demandaient les contestataires ?
La démocratie directe ! Pas si simple. Lors de la réunion houleuse à Allex, Gérard Crozier, maire de la cité et président du Syndicat mixte de la rivière Drôme (SMRD) s’offusqua: « Toutes les formes démocratiques ont été respectées ». Frédéric Tron, élu communautaire et membre de la Commission locale de l’eau (CLE) soulignait : « Il arrive qu’une poignée seulement de personnes se présente aux réunions, malgré une débauche d’efforts de communication ».
Pas simple la démocratie. A torts partagés, de bas en haut mais surtout de haut en bas, trop souvent la conséquence de mauvaises habitudes d’énarques incrustrées comme des réflexes pavloviens. « Les locaux estiment avoir un droit d’usage et de regard sur le territoire où ils vivent », expliqua en substance Cédric Proust, animateur du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du SMRD. Pourtant « on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles la commune en question ne dispose que d’un unique captage d’eau potable. C’est une vulnérabilité. Pourquoi la préfecture s’en remet-elle sans plus d’esprit critique au seul jugement des experts scientifiques, à L’Agence régionale de santé, sans prendre en considération les besoins des habitants ? ». « Les aspect psycho-sociaux et culturels de l’usage de l’eau ne sont pas pris en compte. Lorsqu’on aborde la question de l’eau potable avec les maires, on sent bien l’épaisseur symbolique de la question », complète Jean-Baptiste Narcy, du cabinet Asca spécialiste des aspects psycho-sociaux de l’usage des eaux. Manon des sources ne le démentirait pas. A Allex, certaines critiques allaient bien dans ce sens : « On se baigne dans le lac des Freydières depuis qu’on est gamin ».
Pas simple la démocratie, ce détestable moyen – à l’exception de tous les autres – de résoudre les conflits surtout quand bien des millefeuilles convergent pour la rendre complexe et inefficace. « Les gens ne voient pas de quel droit on les priverait de contact avec leur territoire. Ils veulent se baigner en rivière. Mais qui dit baignade dit stationnement. Stationnement souvent sur le domaine du département. Ou bien il faut emprunter des voies vicinales, responsabilité du maire. Les déchets sont du ressort de l’intercommunalité. Et s’il faut traverser des terrains privés, c’est une source de conflit avec les propriétaires. Très, très compliqué », soupirait Frédéric Tron. Presque un constat d’impuissance. Qu’est la démocratie quand elle est vaine, questionnait Deng Xiaoping (jadis numéro un chinois) ? : « Les démocraties sont impuissantes, les tyrannies efficaces ».
Une complexité à porter à la puissance impuissante de 34955, le nombre faramineux, inconnu partout ailleurs en Europe, des communes hexagonales. Une mosaïque kaléidoscopique qui fait songer à la situation pré-révolutionnaire quand dans la France d’Ancien régime coexistaient, de cité en cité, régimes fiscaux, matrimoniaux et patrimoniaux (héritage), poids et mesures, dans une intrication proprement paralysante, barrant le futur et rendant épuisant le moindre effort pour changer quoi que ce soit. Or pourtant Talleyrand affirmait : « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre ». Douceur de vivre, mais pour certains seulement. Et pour les autres ni pain et encore moins de brioche ! D’où la conflagration révolutionnaire. Commotion de violence, qui est bien le pire des moyens, sans exception aucune, pour ne rien changer au fond mais au contraire renouveler le pire.
Méfions-nous de voguer en de si proches et dangereux parages entre Charybde et Scylla. Car si les trublions d’Allex ont manifesté une certaine tendance à confondre démocratie directe et coup d’Etat direct – genre assaut contre le Capitole – rester dans le statu quo, ne proposer que des solutions à la marge sans s’attaquer à la racine des maux, c’est à coup sûr condamner à une mortelle dessiccation une démocratie assoiffée[1].
[1] Sur la question de la démocratie, de ses lacunes et de pistes pour l’améliorer, lire « Tirage au sort et imparfaites démocraties » du présent auteur, aux Editions Yves Michel/Le Souffle d’Or.
Lentement l’encre nocturne remplace l’azur. Sous la lune qui prend la veille, le marbre luit, poli du frottement des étoffes. En contrebas, sur l’hémicycle, quelques lampes à huile vacillent et dans l’obscurité qui épaissit, projettent dans l’agora des ombres géantes. Les plus grands orateurs ont défilé sous ces sphères, des étrangers célèbres, des devins, des mages, des hyperboréens velus et des Noirs crépus, des Egyptiens, des marchands, des espions et même quelques gymnosophistes venus à grands périls d’au-delà des déserts sur le dos de chameaux à deux bosses.
– « Est raisonnable le raisonnement bien conformé sans schisme logique, qui décrit le réel », clame l’ombre géante d’un index, celui d’un homme peut-être trentenaire aux maxillaires carrés, nets, bien rasé, une fibule d’or à l’épaule. « Les chevaux borgnes ne sont pas chers, mais Athènes pour faire la guerre achète les plus belles cabales. Oui, la logique philosophique, voilà la supériorité d’Athènes… »
– « Tu l’as déjà dit, jeune homme », coupe un vieillard. « Qui confondrait une haridelle et un destrier ? Qui serait sot assez, même sans connaître les signes, pour échanger son or contre une haquenée borgne ? Même pas tes pères, beau jeune homme. Je les ai bien connus. Quand ils avaient leurs jambes, pour vaincre ou rester vivants, ils s’élançaient comme fous derrière l’égide. Comme leurs pères avant eux, ils rejoignaient les montagnes assister aux mystères. Les dieux les chevauchaient comme les autres. Autour de la faille omphalique, tes pères bien mieux que toi comprenaient l’importance de nos cérémonies, quand nous jouions, ensemble, tous, hommes, femmes, enfants, vieillards, la comédie et le drame de nos vies. N’est-ce pas d’une femme Scythe, il y bien des générations de cela, que provient ton germon ? N’est-ce pas de l’un des Argonautes qu’elle enfanta tes pères ? Elle était parente de Médée, initiée aux cérémonies des hyperboréens, aux mystères qui se jouent sous le dôme enterré dans les vapeurs d’herbe et les effluves du sol ? Ses filles, tes aïeules, n’ont-elle pas visité les mages de Perse, les prêtres d’Egypte ? N’avait-elle pas recueilli les chants des Garamantes, les murmures de Cassiopée, les poèmes de Saba, et ouï dire des hommes singes velus de l’Afrique chevelue ? Ta grand-mère elle-même, jeune homme bien rasé, ne vivait-elle pas dans les grottes de karst, en compagnie des sangliers, dans les collines du Nord où vivaient jadis les Cyclopes, où sont encore vivants les vieux cultes ? N’était-elle pas partie longtemps vers l’Est, au-delà du pays des mages, là où les ascètes adorent un dieu aux mille bras et au collier de crânes ? Ne parlait-elle pas de ces royaumes lointains baignés à ces rivages d’où sort Apollon sur son char, consumés d’interminables guerres dont nous ne savons rien ? On m’a dit qu’une grande couleuvre mâle partageait même son antre. Ta grand-mère, beau philosophe, n’était-elle pas pythonisse ? »
La raison contre les mythes
– « Superstition, tyrannies des mythes ! Nous, philosophes, luttons pour dégager l’entendement de la gangue ancienne de la magie, des cosmogonies archaïques, des royautés enracinées dans le despotisme des mystères. La déduction qu’on fait sur l’hypothèse qu’on avance et que le réel confirme : voilà le credo. Sinon quoi ? Sinon l’émotion, la folie passagère, le démagogue qui flatte la foule, qui l’excite, qui l’enflamme, la lance par la ville forcer les portes des greniers et allumer des feux ? Ou bien préfères-tu, vieil homme, l’archaïque carcan des antiennes magiques, le vieil ordre croulant où vous les chamanes et les rois, vous entendiez si bien pour corseter l’univers et l’homme ?»
– « Les Athéniens en veulent toujours plus », tonitrue une voix forte résonnant d’accents d’airain et de marteau. « Ils ont raison d’être gourmands et ambitieux. Pourquoi ? Parce qu’ils sont raisonnables. Oui, la raison fait la grandeur d’Athènes. La raison est le fondement de sa supériorité politique et morale. Elle l’autorise à revendiquer l’hegemon sur les autres cités. Périclès les fédère pour leur bien. Elles doivent comprendre la beauté, la bonté et le juste d’Athènes.»
Spirale d’Ulam: rangement ordonné des nombres premiers, indice d’une structure cachée présidant à leur répartition parmi les entiers, mystère parmi les mystères qu’approche la fonction Zéta.
– « Elle est belle ta raison. Elle est belle la démocratie », gouaille d’au-delà la margelle, depuis l’ombre violine une voix au fort accent rempli de borborygmes. « Périclès l’a imposée aux cités fédérées, comme une punition. La démocratie ou l’invasion, la démocratie ou les camps militaires aux portes de la cité ! Périclès a trahi. Le monde nouveau que tu décris est celui d’un début trahi. Mais, je te l’accorde : ce siècle est une première expérience où tout est déjà en germe.»
– « Tant d’hommes de talent rassemblés à Athènes, en si peu de temps, sur si peu d’espace ! » s’emporte un jeune homme maigre à la toge douteuse, à la tignasse de nattes formant masse sous le bonnet de maille. « Est-ce leur génie ? Ou n’est-ce que l’occasion ? Quand la paix règne, quand l’or et l’argent circulent, le plus stupide des colporteurs remplit sa bourse. Génies de pacotille, talents d’occasion, talents factices, talents à la mode ! »
– «Talents sonnants et trébuchants, pour ça oui ! » coupe un homme depuis l’ombre. « Parlons-en des élites ! Socrate, Platon, Aristote, Périclès, Hérodote, Alexandre ? Tous cul et chemise. La même bande. Quelle autre raison plus grande a donc bien ta raison, ô beau philosophe rasé, sinon que de servir les puissants ?»
logique du conte, logique du compte
– « Votre raison », reprend le jeune homme maigre à la tignasse filasse, « c’est la logique du fer : la loi, la norme, la règle, celle que vous gravez à toutes les stèles de pierre plantées aux carrefours. Et même vous l’avez fondue dans le bronze ! Nos pères, les pères de nos pères, préféraient à vos lois la souplesse de la parole, l’accord, l’harmonie.»
– « Ne vois-tu pas que le monde a changé ? » rétorque index encoléré le philosophe aux maxillaires carrés. « Comment les vieilles coutumes pourraient-elles encore répondre aux défis d’aujourd’hui ? Jadis, toi vieillard que mes pères ont connu, tu prenais une barque, tu tournais le cap : les lois avaient changé, les temples abritaient d’autres dieux. C’était il y a longtemps. Les vaisseaux pansus, que protègent nos trirèmes, aujourd’hui nous mènent en quelques jours à Sidon, Tyr, Memphis, Cyrène, Syracuse, à Agathé Tyché ou Massa. Depuis, d’autres dieux ont rejoint dans le temple l’idole poliade. D’hors les murs ont afflué les métèques, les esclaves, les miséreux des collines et des plateaux trop arides, trop peuplés. La puissante Perse menace. Aristote peut bien conseiller l’autarcie. Si Athènes ne s’était pas tournée vers la mer, si Périclès n’avait pas imposé notre démocratie, nous échangerions encore nos sardines sèches contre l’orge plein de cailloux de Lacédémone !»
– « Vous chamanes, chenus ou jeunes, prétendus philosophes et véritables errants, n’êtes qu’une bande d’idéalistes, de rêveurs. Je construis des galères au Pyrhée. Je travaille dur, moi. Je fais commerce avec ceux du Pont. J’ai même, en ce moment peut-être, un navire au-delà des piliers d’Héraclès, parti chercher l’étain. J’importe le blé de Colchide, que vous mangez ici. Le pain de froment, vous en voulez bien, hein ? Mais vous ne voulez pas des règles, des sceaux, des mesures, des étalons pour l’acheter ! Comment sans eux fonctionnerait le commerce, sans des règles reconnues partout et par tous les marchands? Finies les disputes, les comptes et les cargaisons au jugé. Les lois faites sous le sceau de la raison sont bonnes pour le commerce. Athènes a écrit les paroles exactes. Tant mieux pour nous que ce soit elle qui l’ait fait ! »
– « Le sceau de la raison ? » rugit l’homme de l’ombre. « De raison, tu as la bouche pleine, et les bras chargés de plans de machines, de roues à dent, de cages d’écureuil, de poulies, de moufles, de bigues, de chèvres. Tu penses comme un calame, et non pas comme un homme. La belle mécanique ! Les portefaix par centaines que tu as débauchés, mourant de faim au bord des routes, entassés aux faubourgs dans des dolia crevées. Tu préfères tes engrenages aux travailleurs libres ! Même les esclaves pour toi mangent trop encore. Les engrenages ne mangent pas, ne se plaignent pas, ne réclament pas. Ta logique est celle du livre de compte. La voilà ta raison. La raison de ta raison. Ta mécanique est l’outil des patriciens, des trafiquants au grand large, l’outil du pouvoir de ta classe ! »
– « Les engrenages », renchérit le chamane à la tignasse, « conviennent bien aux machines. Mais comment pourraient-ils nous dire pourquoi reviennent les jours, les saisons, les moissons ? Vos articulations logiques sont souples comme les maillons d’une chaîne. Vos mètres et vos péroraisons de parchemin sont cassantes et rigides: on croirait l’insecte, et ses segments de chitine, pliant à peine aux joints. Notre mètre n’a besoin ni de calame, ni de stylet, ni de parchemin : il est en nous. Python seul a la souplesse nécessaire de dire au cœur des hommes les paroles qui cernent le futur. Platon même, quand il est au bout de ses raisons, revient au savoir bien usé, bien sûr, bien mûr des mages, seuls capables de faire leur part aux mystères. En peu de mots leurs bouches disent les mythes dont des mers de signes n’effleurent pas même le sens. Socrate raisonne et n’écrit pas : ses convives banquètent. La nourriture entre par la bouche des convives et la sagesse en sort. Comment pourras-tu jamais démontrer comment les enfants aiment leurs parents ? Crois-tu qu’on peut apprendre dans les livres ce que l’on est soi-même ? Crois-tu que les masques au théâtre, tout à l’heure, ici même, ne raconteront pas nos mystères bien mieux que, le licol sur la nuque, les scribes des rois, leurs nobles, leurs philosophes, leurs régisseurs, leurs marchands, leurs esclaves affranchis ? »
Parler est barbare
– « Tu insultes le savoir, sophiste ! », raille le philosophe carré de la mâchoire. « Tu insultes la science, toi qui la vends, contre argent, comme des carottes, à des marchands grossiers qui n’ont que leurs drachmes à la bouche, celui qu’ils dépensent pour ta rétribution, celui que leurs enfants gagneront grâce à ton verbe maquignon. Avocat parfois, précepteur de gosses de parvenus tantôt, secrétaire ici, rédacteur là, traducteur parfois, au gré de tes embauches : un colporteur n’est pas un philosophe. Oui, l’écriture est le savoir des rois. Oui, ses régisseurs gèrent ses domaines. Oui ses scribes notent l’or, l’argent, les pierres, les trophées, la richesse des citoyens, les contributions des alliés à la beauté d’Athènes. Oui la raison sert les rois, le mérite, la valeur, le beau. Oui, le fort est le maître de la raison ! » »
– « Ta raison te trompe », rétorque l’homme à la toge douteuse, « car si à quelque question qu’on pose, l’univers répondait par l’affirmative ? Se ferait-il que l’on puisse trouver quelque preuve à n’importe quelle conjecture ? Parce que l’étendue limitée des conjectures, infiniment inappropriées à leur objet, fait que toujours existe quelque partie du vrai qui les confirme ? »
– « La parole » continue le vieillard, « n’est pas une loi qu’on grave dans la pierre. Elle est utile. Elle se décide. Elle se plie, elle s’adapte. Nos ancêtres la façonnaient à l’ombre de l’olivier millénaire, martelée longuement comme le forgeron la lame de bronze. Longs conciliabules et braves péroraisons. Et quand les gorges s’asséchaient, quand le souffle collectif chancelait, les aèdes pour le réanimer entonnaient encore les généalogies, les exploits des héros, les épopées anciennes. Sous le dôme à demi-enterré, on racontait les rêves, les angoisses, la torsion des viscères, la peur des esprits et des sorts que jettent les envieux. Alors quelqu’un s’écriait : toi là-bas, pourquoi m’en veux-tu ? Une voix entonnait le chant des symboles qui pansent. La voix partagée soignait les griefs, la colère, l’envie, les jalousies, les complots, les maladies du corps, les maladies de l’esprit enfermé dans le corps, et celles de l’esprit qui contient tous les corps. Toi qui respectes le théâtre qu’on va jouer bientôt ici, ce soir, au milieu de ces bancs, ne sais-tu pas que ses racines puisent au vieux culte ? Ne sais-tu pas que la raison est bien faible pour soigner les maux qui n’ont pas de nom !
– « Les charlatans… », reprend après une pause le vieillard d’une voix assombrie, « les charlatans vendent des potions dont l’efficace réside dans le secret jaloux de leur fabrication et le monopole de leur distribution. Les vrais thérapeutes – leur peau sent la chèvre et non le baume – soignent l’homme en entier. Ils soignent par la parole pour ce qu’on veut bien leur donner. Seule l’évocation, la parole, la musique, l’image vivante, recèlent l’efficace. »
– « Socrate n’a jamais écrit une ligne, sauf pour la liste des courses qu’il donnait à faire à ses esclaves », persifle une voix depuis l’ombre ceignant l’amphithéâtre.
– « Platon lui-même » continue le philosophe filasse à la toge crasseuse, « hésite à confier pleinement au calame les paroles du maître, comme si l’instrument ne suffisait pas à contenir sa pensée. L’élève a ouvert les bondes. Après lui, nous le sentons bien, les scribes le diront sans plus de retenue : parler est barbare. »
Parole d’air, parole de pierre
– « Mon jeune ami a raison », s’anime le patriarche. « Les scribes n’aiment pas la parole au vol ailé. Ils n’aiment pas l’agora. Ils n’aiment pas les mots qui vont du pair au pair. Ils les veulent serrés, scellés, dans des bibliothèques, indexés, conservés, surveillés, bien gardés. Ils veulent la langue fossile, figée, servile. Bientôt leurs signes deviendront la nourriture unique de l’idée.»
– « Vieux chamane, qui connut mes aïeux, ne comprends-tu pas que les signes de Platon voyagent bien plus loin dans l’histoire, sur les mers et les routes, que les discours qui fuient avec la brise du temps et meurent avec les bouches ? Platon, Aristote surtout, défendent le privilège de la raison d’édifier l’ultime savoir, comme moellon après moellon on érige la muraille. Ecrire, c’est poser. Et sur cette première pierre construire. Bâtir, édifier, plus haut, toujours plus haut, et gagner en puissance. Le papyrus et le calame sont les outils de la raison. Un jour, grâce à eux, ratio et être s’identifieront. Pourquoi refuser de vivre avec ton temps, pourquoi refuser le progrès ? Veux-tu t’en retourner dans la caverne des pythonisses, Vieillard ? »
– « La caverne des Pythonisses est à l’abri de la foudre de Zeus, jeune homme dont j’ai connu le géniteur. L’homme bientôt ploiera sous le joug de sa propre raison. Après Platon, après Aristote, j’en suis sûr, viendra la longue théorie des demi-dieux, des demi-philosophes, des prophètes borgnes, qui diront que l’homme peut égaler le démiurge. Un jour viendra où l’homme se croira l’héritier raisonnable de dieu. Il se croira le maître du drame, quand il ne sera plus au théâtre des simulacres que la marionnette de sa nature. Je te le dis, jeune homme bien rasé: le savoir des scribes n’est qu’un voile de plus sur le visage du vrai. Oui, je le crains, le monde pivote aujourd’hui entre la parole d’air et la parole de pierre.
Certains n’ont que celle-là. Les paroles des modestes, de ceux-là, là haut, assis en dehors du cercle, leurs paroles s’envolent et comptent peu. Les autres font venir de Corinthe des blocs de marbre pour y graver leurs mots et en faire des lois. Ils font de l’agora l’annexe de leurs bibliothèques. La justice de l’olivier n’a besoin que de bouches, non pas de sceaux, non pas d’annales, non pas d’archives, non pas de coffres, non pas de scribes, non pas de secrétaires. Entre les chants des aèdes et les bibliothèques des riches, entre la parole et le stylet, entre la science des signes et le savoir des hommes, oui, le monde pivote comme ces étoiles au-dessus de nos têtes. Ton écriture, philosophe, bâillonnera trop longtemps la bouche des vivants. Vous vous trompez, nobles jeunes gens entogés. Votre jeune savoir n’est que jeune, non pas universel !
Combien de temps fera-t-il illusion : quarante, cent générations ? Les illusions de la raison ne sont pas éternelles. Sous l’écorce de l’arbre, non, l’alliance n’est pas rompue. La césure n’est pas définitive. Sous la croûte, le vieux monde des contes, des palabres, des métaphores qui aident à vivre grouille, vivace. Mais quand les mains des hommes seront brûlées, leurs papyrus réduits en cendre, c’est avec leurs gorges, leurs sanglots, leurs cris, leurs soupirs, leurs murmures, leurs caresses, qu’ils se réconforteront, se reconnaîtront, et décideront, sur l’agora, de leur destin nouveau. Car voilà maintenant ma question : comment déchirer les voiles dont vous recouvrez l’être ? »
Marco Polo est un escroc
Marco Polo est un escroc. L’escroc est libre. Il ne sert aucun maître. Ce maître qui n’est le plus souvent qu’un autre escroc. Il persuade les autres que leur bien est le sien, son bien le leur. S’il escroque l’élite, l’escroc est de talent. Cela se voit souvent. Question d’expérience et de temps : au fond la même chose. Mais aussi, il sait beaucoup de choses sans les avoir apprises : une seule pensée, une seule fulgurance sans instant, germinale, souvent suffit. Deux présents courent parallèles, chacun dotés d’un passé, d’un futur. Ils sont là par éclipses, bien que jamais absents. Temps bâtard et solipsiste, comme un décalage horaire qui n’en finit jamais. Présents croisés d’expérience où le temps subit un intime pincement. Quelles valeurs ont la durée, l’histoire, les fins, l’origine, le progrès, quand le temps vacille ? Entre les quatre murs de sa geôle génoise, entre les quatre même murs, jour après jour, à son compagnon d’infortune, Marco Polo relate ses pérégrinations. Tout le temps se joue là. Quelles collisions d’images dans l’espace mental clos de cette geôle !
Les paroles de Marco évoquaient tant de couleurs, de formes, d’émotions, de lieux, de langues : souvenir du départ, de la lagune brillant immobile, plaqué en transparence sur le spectacle, anxieux incongru, du retour. Marco Polo et Venise avaient pris vingt ans. Venise ne brillait plus de la naïveté de la jeunesse. Les femmes avaient vieilli. Dissipé, le halo d’idéal dont l’avait parée l’exil. Où est Venise ? Maintenant ? Il y a vingt ans ? Qui dit plus vrai sur Venise ? Les souvenirs de Marco ? Ceux de qui n’ont jamais quitté la lagune ? Quelle absence a le plus de sens ? Le présent a sauté d’un rayon. L’un est ici vivant, l’autre, en contre-bas de la mémoire, perdure. Le doute s’instille. Il bave comme l’encre sur le buvard. Il contamine bientôt, tout le présent et les segments de la vie désarticulée, présentent la transparence de leur flanc. Alors le monde ne fournit plus de si nettes évidences. Les a priori sédentaires font grincer l’oreille et souffrir. Non le scribe ne peut pas comprendre cette faille, le cisaillement intime du temps. El Million est l’histoire d’une faillite.
Etrange étrangeté, la durée comme au travers d’une vitre, double reflet face à face dans l’épaisseur invisible du verre. Marco, le front plombé, soupèse ce double présent indécis. Appartenance confuse entre ici et ailleurs, aujourd’hui et hier. Je contemple les hommes et les femmes autour de moi. Je ne suis pas sûr de ce que je vois. Leurs vêtements sont des peaux, les murs une paroi. Je ne vois pas mes yeux. Il n’y a plus de vitre. La figure de mes proches, quelle est-elle ? Au moins ce qui pense pense. Cela pense. Par facilité lexicale, dire « Je » pense. Penser ? Qui pense ? « Cela » pensait Marco bien plus Marco ne pensait « cela ». « Je » : est-ce cette indécision ? Rien d’autre, peut-être que le spectacle de moi à moi, de moi pour moi, de moi par moi. Où est moi ? Marco déraisonnait. « Marco, pourquoi est-tu parti ? ». Il faut toujours se justifier. Pourquoi partir en effet ? De quel nœud part-on ? Pourquoi moi ? Suis-je fou ou est-ce le monde ? « Je » ne crois pas à ce moi fragmenté. « Ma » solitude est une illusion, un défaut de raison. Les autres m’assaillent et me sustentent. Je ne peux les prouver, mais je les sens, et c’est tout différent.
Le temps de Marco, qu’on y songe, est extraordinaire. Il ne prit pas l’avion, mais chemina de longs mois à pied, à cheval, à dos de chameau, vogua sur le bois des esquifs. Il traversa d’admirables contrées et des déserts arides avant d’atteindre la Chine où il resta longtemps. Enfin Marco revint par les mêmes lents moyens. Il partit adolescent, revint homme mûr. De quelle Chine Marco parlait-il à son compagnon de cellule ? De quel Occident ? De quels présents, de quels passés, de quelles transitions sur les pistes de la soie ? La vie est également courte pour tous les hommes, à peu près. Parenthèse sans retour pour remplir le temps de sens, et dans ce bref intermède, faire face à la totalité. Durée ridicule, entendement débile, étique équité, mais le seul savoir utile, poétique. Le monde est plein de fausses connaissances qui nous distraient du sens et du loisir de poser les seules questions qui vaillent : le bien vivre, le gai savoir, la douleur, la pérennité, la liberté. Le doute ne connaît plus de barrières. Marco, agité, secoue sa tignasse comme le chamane l’égide. Oh, débusquer le cœur de fer du temps ! Juger d’un point haut, long, très long. Déceler dans l’instant les contingences de la durée, ses récurrences, ses similitudes, ses solutions, ses fractures. Temps des montagnes, temps des continents, temps des crues, des rives qui s’embourbent et des îles de sable qui fondent dans le courant. Temps des arbres, des couvées, des gésines. Temps du marchand, de la serpe et du faix. Rythmes, tempo, scansion, nœuds, pendules, cordes, vibrations, périodes, coïncidences : quelle est la géométrie du temps ?
Tout animé du rêve prométhéen de changer l’homme, de le déconstruire méthodiquement pour le libérer de tous les déterminismes qui l’enchaînent, physiques, matériels, sociaux, cognitifs, pour effacer le passé et sur une page blanche tracer le grand dessein de l’émancipation universelle, le marxisme aura réussi un programme exactement inverse : détruire la société, l’atomiser, la pulvériser, la réduire à une collection d’égoïsmes qu’aucun ciment ne tient plus ensemble. Ainsi la gauche aura-t-elle réalisé le programme libertarien extrême que promouvaient Ayn Rand, Margaret Thatcher, Ludwig Von Mises, Friedrich Hayek et aujourd’hui Javier Milei ou Donald Trump.
Fondé sur la solidarité des classes exploitées et l’idée que l’homme n’est rien sans son inscription sociale, qu’il est l’un des lieux d’un continuum plus grand que lui – la société, l’espèce – le socialisme aura en cours de route perdu tout orient pour dériver dans la direction opposée et se ranger aux intérêts d’une classe dominante convaincue que la singularité individuelle constitue un apex métaphysique, classe qui par ailleurs a intérêt à la désagrégation sociale.
Et c’est bien ce que l’analyse des composantes démographiques de la gauche montre, seulement peuplée d’universitaires, d’énarques, d’industriels, de fonctionnaires, de privilégiés. Dans ces conditions, voyant bien qu’elle n’est nullement représentée, mais au contraire méprisée, que ses intérêts économiques objectifs sont foulés au pied – zones à faibles émissions, portiques de taxation des véhicules, immigration illégale constituant une atteinte directe aux intérêts économiques des classes les plus modestes – alors nulle suprise que la plèbe se tourne vers les sirènes menteuses de l’extrême droite. Il plaît au bloc bourgeois de penser qu’Hitler parvint au pouvoir en raison de l’imbécillité des masses. Mais qui avait rédigé les clauses léonines du Traité de Versailles qui conduit plusieurs décennies plus tard à la misère populaire ? L’exacte même chose se déroule aujourd’hui. La misère populaire jette la populace dans des bras fanatiques, mais les raisons pour lesquelles elle le fait appartiennent entièrement aux élites bourgeoises auxquelles collent encore, par simple rémanence, l’étiquette de gauche
– Etienne, Bonjour. Hier vu des copains chrétiens anticapitalistes et aussi pro-Trump.
– Il faudra les présenter à mon copain anarcho-royaliste !
Toutes ces personnes devraient bien s’entendre avec une autre mienne connaissance qui, pleine d’empathie, regrettait amèrement le suicide de cette « pauvre Natacha Rey » qui mit fin à ses jours suite aux persécutions de l’Etat profond pédophile. Natacha Rey est à l’origine de la rumeur selon laquelle Mme Macron serait un monsieur qui aurait trafiqué son acte de naissance.
Quant à la dite connaissance, elle fut naguère présente sur une liste électorale de gauche. Elle est par ailleurs adepte de la secte boudhiste Falungong (法轮功, Pratique de la roue du Dharma), secte que je croisai à plusieurs reprises dans les parcs publics de Shanghai et même lors d’une cérémonie officielle dans cette même ville avant que le PCC n’interdise ce mouvement en raison de son fonctionnement sectaire et de ses liens avec la CIA.
Quel étrange monde où la physique d’une part (les pommes qui tombent vers le bas, la nécessité) et l’économie, la finance et la politique internationale peuplent des sphères séparées. Car cet article comporte un point aveugle considérable : le canal de Panama connaît d’importantes tensions sur son approvisionnement en eau, et donc sa navigabilité, ce qui a interdit en une occasion au moins le passage des cargos de très fort tonnage. Une pénurie qui n’est pas près de s’arranger et dont les conséquences géopolitiques seront déterminantes. Or, dans ce domaine, la Chine est mieux placée (ou plus exactement moins mal placée) que les USA, pour la raison que le réchauffement climatique est pris à peu près au sérieux du côté de Pékin alors qu’il est nié du côté de Trump.
Les coûts cachés de l’extractivisme (gaz de schiste, minerais, pétrole, bois, eau, etc) qui revient à financer le compte de résultat en mangeant le capital (les stocks) finiront à revenir en boomerang à la face des USA, sous forme de catastrophes naturelles non assurables qui pèseront en retour sur la capacité d’investissement, sur les filets sociaux, sur la potabilité des eaux, ou même la possibilité de leur usage agricole, le tout déstabilisant profondément la société US. La soutenabilité doit être perçue comme une dimension stratégique et non pas « romantique », « hippie » ou « gauchiste ». La Chine, malgré tous ses défauts, l’a compris, peut-être en raison de sa culture de direction collective et « d’esprit de synthèse », cette dernière idée chère au PCC.
Mais de l’autre côté du Pacifique ce sont des idées probablement trop subtiles pour une société fanatiquement éprise d’individualisme et plus encore pour un présentateur télé né coiffé – sans expérience sociale et n’ayant jamais dû se coltiner au réel – et un ingénieur caractériel dont le succès n’est dû qu’au soutien d’un système financier et économique lui-même délirant et n’ayant qu’une parenté de nom avec la démocratie.
« Kirghizistan: le président Sadyr Japarov «soutient» la proposition de Musk de fermer Radio Free Europe *», nous apprend Radio France Internationale ce 11 février 2025. Voilà une excellente proposition. Une fois n’est pas coutume, me voici sur la même position que Vladimir et Jinping. Se pourrait-il d’ailleurs que Vlad et Jinping, qui connaissent le patron de Musk et son intelligence frustre, ait soufflé la proposition au dictateur Kirghize, que Musk s’empresse de bêler en écho ? A Musk, et d’une manière générale à l’esprit insulaire monolithe US, il faut des idées massives, des blocs de concepts , des nuances monochromes, des bons et des mauvais, un monde simple « sinon », comme disait Goering (à moins que ce soit Lénine ou quelque autre du même accabit), « je sors mon révolver ».
Il faut remercier Musk: les idiots sont parfois utiles. En effet, je connais un peu les Pamir et l’Hindoukoush (Turkestan Chinois, territoires du Nord-Pakistan, Inde du Nord). Les populations dans ces zones, autant en raison de la pauvreté de leurs Etats que des directions autoritaires de ces mêmes Etats, s’appuient sur les ondes courtes pour leur information (un poste de radio est difficilement détectable à la différence d’une connexion internet).
Dans l’ordre de leur préférence venait (venait car elle a disparu) en première place la BBC, reconnue pour son indépendance et son professionnalisme. La seconde place était occupée par la Deutsche Welle. Voice of America ne venait qu’en troisième place, en raison de sa partialité. Mais troisième place quand même. La Dame de Fer a rogné les crédits de la BBC qui aujourd’hui ne diffuse plus sur les ondes courtes – ou au moins a drastiquement réduit son temps d’émission – et dont la qualité et le professionnalisme ont nettement baissé: exit le soft power UK ! Merci Margaret.
Qu’Elon Musk n’ait pas inventé l’eau chaude n’est pas une découverte. Mais une telle abyssale bêtise est réellement surprenante. Comment le néo-martien peut-il ignorer le concept de part de voie ? Autrement dit, qu’importe le message, l’important est de saturer l’espace de l’information ? N’a-t-il pas lu les œuvres complètes de Steve Bannon: « Fill the zone with shit ! ». Oeuvres qui tiennent sur un rouleau de PQ et peuvent être lues au WC et utilement recyclées. La propagande a horreur du vide. Laisser un trou dans la toile et bien vite d’autres voies le comblent.
Les USA sont une île. Une grande île mais une île. Et cette île n’a du son succès et son influence mondiales qu’au fait qu’elle a su sortir de ces frontières, commercer avec le plus grand nombre, installer ses troupes un peu partout. Or, Dieu soit béni, le Très haut a donné au monde Trump pour libérer la planète de l’Oncle Sam et de l’emprise du billet vert.
Après Trump et Musk, dans le silence des ondes, personne en Asie centrale, en Asie Pacifique, en Extrême Orient, en Afrique n’aura plus confiance en les Etats Unis d’Amérique. Et d’autant plus qu’aura disparu son parapluie militaire et se sera tarie et son influence économique.
Voilà une place bien chaude que la France et l’Europe doivent s’employer à occuper d’urgence ! La marque Radio Free Europe est en déshérence ! Approprions-nous la ! Merci Musk (et bon voyage vers Mars), merci Trump, merci président Sadyr Japarov ! Vive Radio France internationale, vive Radio Free Europe !
Aristote et Platon, tous deux membres de l’élite athénienne, craignaient par dessus tout les promesses de quelque führer ou leader populiste qui entraînerait une population subjuguée vers l’aventure politique, la jacquerie, l’incendie. Telle fut aussi la crainte des pères de la démocratie américaine. La révolution française, fille des Lumières, fit le pari d’une démocratie populaire. Bien qu’initialement restreinte à une élite éclairée bourgeoise remplaçant la noblesse, la condition sine qua non de son maintien et de son avenir était l’élévation continue des esprits de tous et de chacun, avec comme corollaires nécessaires la liberté d’information et de parole, de réunion, de débat.
Mais le terme élite est vague et polysémique : il peut exister des élites morales, des élites marchandes ou financières, des élites militaires. Or du point de vue des élites morales, celle militaires ou commerciales n’en sont point, voire leur antithèse. Ainsi l’Eglise réclamait la paix dominicale, condamnait les exactions du puissant envers le faible, le prêt d’argent: le temps appartient à Dieu seulement.
Aujourd’hui les élites morales, ont été balayées: l’élite commerciale et financière tient le haut du pavé. Ce qui distingue les élites morales des autres est la richesse et l’ampleur de leur culture et conséquemment la relativité de leur point de vue, leur aptitude à voir derrière l’horizon du quotidien ou de la durée d’une vie, leur aptitude à penser contre elles-mêmes.
Or, elles sont aujourd’hui parfaitement discrédités, tenues pour incompétentes dans la sphère pratique, fumeuses, sans contact avec le réel. Seul l’Islam rigoriste souhaite les réhabiliter ou les maintenir.
A l’inverse le capitaine d’industrie est vu comme une forme de héros, même si sa pratique le rapproche plus d’un Mengele. Quant aux élites politiques, leur mode de désignation – électif pour les « démocraties », cooptatif pour les régimes autoritaires (la réalité pratique loin de ces termes polaires étant un mélange des divers ingrédients) – sélectionne les plus avides de pouvoir, ceux ayant prendre une revanche sur la société ou contre leur propre folie: bref, les plus tarés.
Ainsi l’avidité, principal moteur des élites marchandes ou financières, est une forme de régression bien peu propre, tout au contraire, à éclairer les destinées humaines. Voilà pourquoi, dans les arts, en philosophie, ou leurs ersatz contemporains, le médiocre qui sied aux esprits médiocres a bien plus de chance de succès que le talent. Et ce d’autant plus que ce médiocre bénéficie du formidable tambour de résonance des médias de masse peuplés de journalistes falots, appréciant l’éthique à l’aune de leur myopie.
La perspective démocratique a donc connu un retournement complet, puisque l’objectif des élites marchandes (ou technique, la technique étant par trop le bras armé de l’argent) n’est plus du tout l’éclairement de la population, son élévation, mais bien le profit qu’elles peuvent réaliser sur l’exploitation de son abêtissement, l’encouragement systématique de ses travers, tares de comportement et biais de cognition : économie de l’in-attention, temps de cerveau disponible, manipulation de masse des affects, comportements, représentations : ceci ne peut que mener à la catastrophe.
Suite au message révoltant de M. Le Bras sur France Inter ce matin, doutant que les Français de Mayotte soient des Français authentiques, niant le droit d’un peuple à l’autodétermination et rejoignant ainsi MM Poutine et Xi Jinping dans la négation des droits des peuples ukrainiens ou taïwanais, j’adresse tout mon soutien à la communauté française de Mayotte et dénonce avec vigueur le racisme déguisé en bien-pensance de M. Le Bras et d’une bonne partie de la « gauche » de trahison.
PS: dans mon indignation, j’ai oublié de citer Donald (pas l’amie de Minnie) aux côtés de Xi Jinping et de son ami Vladimir pour son désir d’annexer le Groenland voire le Canada. Je prie Donald de m’excuser…car il le vaut bien !