Il n’est pas six heures que déjà claquent les premiers tréteaux du marché d’Arles. ll s’étale largement comme une enceinte de toile autour de la cité. Montant en boucle large du Grand Rhône, il enfile placide le boulevard des Lices, oblique au nord vers les antiques remparts. Ce samedi très tôt la brume étouffe le bruit des étals que l’on monte. Le bizarre printemps indien de cette fin février en est cause, qui condense l’humidité du Rhône et de ses eaux alpines.
A 10 heures, le soleil achève de percer. Les mamies, lève-tôt, sont venues les premières. Et puis des couples, des familles, des enfants, des papis et des jeunes mamans. Un couple de Coréens, deux Américains, des rires hollandais et même un Iroquois avec crête, cuir et chaîne, dont aucun pourtant ne dément l’éminente provençalité du marché d’Arles : « C’est le meilleur de la région », dixit une foraine pâtissière. « Et il s’accroît d’année en année » opine le vendeur d’olives. « A I’escabèche, à I’andalouse, à la sévillane, mes olives !». Un marché aussi vieux qu’Arles, dopé par les vétérans romains vainqueurs de la Gaule chevelue et dotés ici par César. Les incursions sarrasines l’étrillent, les Normands, tapis en Camargue, le pillent. Mais toujours il renaît. Au XIe siècle, quelques bourgeois avisés jettent un pont sur le Rhône. Désormais, la route rencontre le fleuve. Les barques se mêlent aux charrois, aux mulets.
Des mains s’agitent, les pièces blanches, les pièces jaunes tintent, deux kilos bien pesés, le sac en plastique récalcitrant, on échange une blague avec un grand sourire et l’on est heureux parce que l’on se promène, que le soleil brille et que l’on remplit le réfrigérateur. De quoi ? De baklava turc, de bœuf séché arménien, de berlingots au coquelicot ou à l’eucalyptus, de potirons, d’asperges ou de kakis, de fraises d’hiver, de jimbelettes, spécialité languedocienne à l’amande amère, de tomme de Savoie au lait cru, de coriandre frais ou de cébettes. Ah ! bien sûr, le marché a changé. Il n’y a plus de bourse, en fait la salle du café à côté où les paysans achetaient et vendaient le foin ou le vin. Ça maquignonnait à tour de bras. On recrutait ou on louait le labeur. L’histoire roule comme le Rhône.
Le marché a de nouveaux gadgets, bibelots, bimbeloterie, petites améthystes qui accrochent le soleil, scènes de plâtre peint où l’on reconnaît l’estancot, l’épicerie, ou le mail familiers. Et puis, il y a les anciens. Ils sont là depuis quinze voire vingt cinq ans. Emile vend du poisson. Son père, c’était les cochons. Il venait de Noves, à quarante kilomètres de là, en poussant devant lui dès minuit sa cohorte grognante. Retour bien après le crépuscule. Quatre générations de Coeur se sont succédées sur le marché d’Arles. Paul Cœur continue d’incarner une race bien particulière, le forain-artisan. Aux produits de ses mains, il ajoute ceux du négoce. Il fabrique à Graveson et étale en Arles, licols, bricoles, longes, harnais, mors, tire-bottes, capes de bergers, graisse à cuir, lassos ou seden, cette corde faite de crins de cheval.
Une pointe de nostalgie : « Avant les gens savaient ce qu’était un cheval, ils étaient compétents. Le cheval était pour eux un outil. Maintenant, ils ne savent plus, ou bien, ils prétendent savoir. Le cheval-loisir a remplacé le cheval-labeur ». La roue tourne, mais le gardian sait toujours où trouver le licol robuste qui résistera au sel et à la sueur de son vaillant petit Camarguais. La roue tourne, comme la foule, qui se fait dense quand sonne onze heures.
Les cabans s’enflent, les cageots se vident. Les parasols filtrent des ombres lumineuses, orangées, bleues, dorées. Le vieux monsieur avec ses glaïeuls sourit. Cadeau pour sa dulcinée ou charme de la fleuriste ? Tulipes écarlates, grappes jaunes des jonquilles, mauves jacinthes grenues : l’air vibre de soleil. Celui qu’a capté l’iris de Van Gogh, qui rend plus noire la chevelure de jais des Arlésiennes, « hiératiques et si inaccessibles ». Elles portaient la coiffe, un riche ruban de passementerie agrafé autour d’un chignon menu. Peut-être ceux-là même que vous dénicherez, entre un bouquiniste et un brocanteur. Sombres et moirés d’outremer, ou bien encore marine et grège, comme le « virginien », réserve aux filles non mariées. Que de malles ou de trousseaux d’aïeules où châles et dentelles attendent sagement qu‘une succession ou un déménagement les extirpent de leur grenier. Car si on ne les fabrique plus, on les recherche toujours. Et les fillettes, « Mireille dès douze ans », viennent sous les platanes choisir l’essentiel ornement de leur costume de fête.
Mais le soleil titille le zénith et l’estomac éveillé par le cliquetis des verres aux terrasses du boulevard des Lices gémit. Un petit chèvre à la sarriette ? Un beignet de pince de crabe au camion vietnamien ou du tarama grec ? Le charcutier a bien trop de faconde pour que sa saucisse « au taureau et sanglier » n’en ait pas aussi et, bien vrai, on croit avoir en bouche les odeurs d’Arles et toute la Camargue !
interprétation d’après une photo de l’auteur, de la sierra du synclinal de Saou suant l’eau du Vercors sous la plombe caniculaire
Jaunes les jonquilles, mauve les primevères, tendre le bleu du ciel couché dans l’herbe où grouille le printemps tout charnu de rosées, de sucs, de vers, d’amibes, de cirons, de mycorhizes gonflées du plus sensuel des liquides : l’eau.
Mais bientôt vient l’été.
Saoû brûle bleu sous le dard du soleil. Bleu de cobalt, dense, solide des tonnes d’eau qui par millions s’évanouissent dans l’azur. Torride premier été du toboggan sec.
Sur les pelouses irrigués du Complexe aquatique batifolent le touriste et sa smala recomposée bruyante. Malgré l’étiage estival, le tourisme irrigué arrose de sa manne la vallée. Le reste de l’année, des retraités aisés soucieux de leur forme, ou bien de dynamiques actifs mobiles en quête responsable de bien-être et pour le corps et pour l’âme profitent de notre belle Biovallée® .
Les déprédations, les vendeurs à la sauvette, les grillages ? Du passé ! Oubliez ! Des caméras et des vigiles garantissent votre tranquillité. Soucieux de partager ce commun qu’est la vue, l’administration du Centre aquatique offre des zones de gratuité visuelles à n’importe qui veut se rafraîchir la vue en regardant l’eau.
Les zones de gratuité sont disposées de manière qu’autrui ne puisse se rincer le regard à vos détriments. Votre anonymat, votre intimité, sont garantis comme l’agrément de votre séjour et la pleine jouissance de la fraîcheur et des aménités balnéaires du Centre aquatique et sa chaude sociabilité. Oubliez tout, oubliez vos soucis, oubliez la pression, cocoonez-vous !
Conformément à son engagement écoresponsable, le Centre aquatique investit chaque année dans des technologies de pointe pour optimiser son empreinte écologique. Vous procurer les vacances éco-respecteuses les plus confortables , les plus fraîches et au moindre coût: c’est notre promesse.
Le Centre aquatique n’oublie pas sa responsabilité citoyenne, économique et sociale (RCES). L’eau est un commun comme la vue. Un commun, comme la vue l’eau l’est. Et l’eau c’est la vie, et sans vie pas de vue et tout part à vau l’eau. Les tensions sur la ressource et le soutien nécessaire à l’activité économique font malheureusement peser un lourd tribut à la gorge des hydro-démunis.
Aussi votre Centre aquatique a-t-il rejoint un groupe de mécènes de l’Economie Ecologique, Sociale, Sanitaire, Solidaire et Aquatique (GMEESSSA). Aujourd’hui nous félicitons l’Etat de l’initiative qu’il a prise de soutenir la suggestion du GMEEESSSA de lancer un grand plan social et solidaire.
« En quoi diffère-t-il des 57 précédents autres ? » interroge notre journaliste ?
« La différence est radicale ! », assène le mécène porte-parole du GMEEESSSA. « Vous me demandez en quoi ? Son esprit et sa méthode scientifique et pragmatique sont uniques ! C’est la première fois qu’on s’appuie sur des méthodes de pilotage du changement fondées: – 1- sur les techniques d’ingénierie communautaire (community building); – 2 – sur la philosophie du Care; – 3 – sur l’approche de Concorde Sociale Hydro-Holistique et de Développement des Territoires-Marge » ®. Et ça, croyez moi, ça change tout ! »
Pour toute information sur le 58e « Grand Plan d’ingénierie communautaire de Concorde Sociale Hydro-Holistique et de Développement des Territoires-Marge inpiré du CareTM », surnommé en bref GPICCSHHDTMIC, rendez-vous sur notre site. Ou bien entrez ou dites tout simplement le code: 58eGP26/ICSH2DTICTM. Cette référence est à rappeler pour toute correspondance ultérieure.
Il y a des îles où on s’ennuie des îles mornes aux jours interminables des îles où l’horizon se perd dans le brouillard et derrière le brouillard toujours la brûme
des îles qui distillent des tourbes humides froides et acides comme un renvoi le lendemain d’un jour de cuite
des îles fades comme la soupe d’un poireau jeté dans la Baltique des îles aux rives moroses cirrhose à la lumière de cave comme un jour pas vraiment levé rampant entre aube et crépuscule
des îles grises, dans l’attente imprécise d’une menace indécise venue de derrière les frimas, la buée une serre sur le cœur lassée de mélancolie
des îles où l’on s’ennuie par mode de vie ce sont les…
Comme ces sources étonnantes où Borvo se mire dans l’azur d’une vasque de pleine lune et un bassin carré, la Chine repose sur une tortue animal singulier à la carapace ronde dessus et carrée en dessous.
π se devine en gésine dans l’ondoiement des formes, entre réel et rationnel. Mais au fond de la boîte de Pandore guette l’œil sombre de l’hydre du lemme les pyramides de nombres, du Big Data, de l’IA !
Naïfs et confiants fellahs, scribes, manouvriers, marchands, seigneurs, prêtres servent les puissants, mais tous ignorent sous les guises de l’histoire le fond de leur moteur
L’histoire semble passer lentement goutte à goutte, jour à jour, saison après saison. Mais vu des empires qui défilent, des espèces qui fluent et des magmas qui roulent le spectacle est fugace
Seul Dieu, s’il existe ce Polyphème borgne, possède la clé du film qu’il rejoue à sa guise projetée à vitesse réglable sur un écran de nuages assis dans un fauteuil du même bois tout piqué d’étoiles et de comètes
« J’écris les chiffres que je dis je dis les chiffres que j’écris ». Voici l’amorce. En quelques itérations elle déchaîne l’explosion logique des instants et des nombres. La parole fut pour l’homme l’étincelle qui démarra l’ouragan cognitif. Il dura plusieurs millénaires montrant un pic exponentiel avant l’effondrement.
« N’ayant su domestiquer son animalité. imbue de la puissance de son illusoire raison l’espèce dont je vous parle n’a pas su inventer une sentience adéquate des règles, un désir, un projet, des rêve viables. L’accident, quasi instantané, est tout au plus vieux d’une dizaine de millénaire. Le groupe rescapé…une centaine de milliers…c’est bien ça ?… – Non, Votre Omniscience, une dizaine, susurra d’une voix de flûte une elfe timide. Où avais-Je la tête ? Dieu la bénit et reprit: Le groupe rescapé, disais-Je, est sorti de la liste des espèces en danger – sinon à quoi ça sert que Dieu y se décarcasse ? – galéja le Tout Puissant. Elle est trop mal stabilisée pour être encore baptisée. Le recul manque pour savoir si le reliquat encaissera l’uppercut, prolongera ou non son genre et dans quelle voix.
Mais le principe d’un suivi régulier est acquis : 1 -point d’étape séculaire 2 -suivi de détail tous les millénaires bissextiles, 3 – revue générale chaque million d’années, 4 -même date, même heure, même lieu, en espace temps local évidemment 5 -restez branchés qu’on puisse vous toucher 7/24 ! Pas plus de trois ou quatre éternités de retard. Je serai intransigeant ! En cas de doute, demandez à Cantor. Good job guys !’
conclut Dieu, toujours aussi patriarcal et avare de louanges, en rompant l’intemporel conclave d’anges aux genres indécis qui s’envolèrent dans un grand frou-frou d’ailes versicolore.
Le crash fut lourd. Massifs et lents paquebots les cultures s’ancrent dans l’humus des symboles et credo résilients comme chiendent funestes ou fortunés plus lourds à manœuvrer que redresser les fleuves creuser les mines bâtir les aciéries
Ils s’imaginaient faire renaître des dinosaures, les aurochs… Mais pas plus qu’on ne démélange un expresso noisette jamais les gènes ne remontent le flux. Incapable de se remaçonner la montagne s’effondre
La vie ne tiendrait pas sans qu’à l’intime de nos métabolismes s’associent ribosomes, bacilles, blastes, pour sans cesse reconstruire le corps qui nous maintient vivants dans nos carapaces de villes nos glaires de symboles de sentiences, de savoirs et de sciences qui convergent pour arracher Narcisse au puits des passions brunes dont fond duquel il imagine l’étroite lunette bleue au-dessus de sa tête embrasser tout le ciel avant que cède une rustine ou pète l’anévrisme.
Tout le vivant partage à même lot le fardeau d’entretenir la flamme d’acquérir carburant, comburant excréter les toxiques de sa vitale combustion âpre realpolitik de la thermodynamique vivre est un travail, un effort, une douleur sarvam dukham !
De l’avoir oublié est mort à tout jamais homo sapiens sapiens tel qu’il serait devenu sans la catastrophe que sa démesure causa.
Si elle survit, l’espèce sera neuve héritant seulement d’une fraction des gènes du stock d’avant l’étranglement racine pivot d’un vortex de novo qui ne sera plus homo sapiens sapiens.
Le béton est le récif en moins beau, que se bâtit l’humain comme le polype exsude son corail Ses tours, ses ponts, ses ports moulent son espace-temps, comme l’hydre construit le sien dans l’expérience de son corps tuyau où courent les fluides.
L’amibe ignore la boite de Pétri où elle se vautre et bâfre, pas plus que le fleuve ne sent les berges entre lesquelles il coule pas plus que le mollusque dans sa tunique de gélatine n’interroge ses raisons de coller au récif.
Pas plus encore que les fourmis n’ont le plan des fraîches mégapoles myrmicoles à l’urbanisme tout rationnel qu’elles bâtissent sous terre, les humains n’aperçoivent les facettes du cristal où joue en vase clos leur aveugle entendement dans le clair bocal des évidences obscures.
Au ponant, des bâtées de béton, de plexiglass, d’acier, de macadam, de silicium, coulent dans leurs caboches et dans leurs iris flamboie un lourd soleil rouge saignant aux miroirs polis des gratte-ciel, où claquent les oriflammes des républiques, des empires.
Ils se livrent de furieuses guerres de gènes grimées d’oripeaux d’honneur et de culture. Ils s’imaginaient faire renaître les dinosaures, les aurochs…
« Te souvient-il, Pierre, de nos jeunes jours quand munis de percuteurs de pierre dure des montagnes achetés cher deux grains d’ambre dans un grand concours de danses de fleurs, de couleurs sur la peau et les jeunes corps en ronde mimant autour de nous la course des bolides au ciel ici même en ce lieu vénéré de tous temps par nos pères et mères où sourd l’eau pérenne nous taillâmes ces deux vasques peu profondes, l’une ronde, l’autre carrée avec entre elles une rigole ? -Comme si c’était hier ! »
Ris cocher laugh coach ! pauvre cloche sous le clocher battant à gros bourdon gueule de toutes tes dents gâteuses personne ne t’entend !
Ris gueux rugueux rogue manant goguenard tel Diogène au seuil de son dolium la queue entre les mains gratifiant le bourgeois de grasses grivoiseries et de jurons les démagogues qui le craignent plus que Gog et Magog !
Ris cocher ! sans soin au cuir sentant le suint et la sueur, l’ail et le sel guinche grand gueux gauche avec les garces aguichantes.
Ris, mâle cocher, ébroue tes chicots, chante, gueule, bois, mange, danse, gaudriole, fais claquer ta chicotte, mais crains la chtouille asticot !
Las, loin de ta trique ton coche, qui n’est pas d’eau glisse à la baye, avec les chevaux !
« Des cachalots ? » Tu es saoule, pauvre cloche ! Casse ton verre, pas ta pipe, vire, ripe, ricoche !
Il y a quelques décennies des géologues un poil farfelus prétendaient que les sols du fossé rhodanien seraient constitués de calcaire urgonien. Et pourquoi pas de 豆腐 – dòufu-tofu?
Remettons les choses à l’endroit : côté Drôme, le picodon fossile forme l’essentiel des terrains (plus quelques filons de caillette indurée). Côté Ardèche domine le pélardon métamorphique. Or – la géochimie le démontre – ces deux lèvres du fossé rhodanien étaient jadis cousues en un ensemble unique. Moraines, banquettes de galets, couches de sable, lits d’argile, bancs de loess, tables de tuf, strates de brèche, furent jadis arrachés au substrat galactique commun d’archéo picolardon – ainsi les spécialistes nomment-ils la roche-mère[1] – par d’antiques fleuves de lait et des bises mugissantes. Ce qui jadis se tenait comme un bloc, le roulement plutonien des magmas le déchira comme on ouvre une braguette.
Chacune sur sa rive, l’Ardèche du pélardon et la Drôme du picodon entamèrent leurs croisières séparées sur les bouillons rougeoyants du magma avant de sombrer dans les entrailles ignées où Hadès les guette. Flottant sur la pâte torride encore l’instant de quelques millénaires, ces fragiles éponges de croûte fromagère font comme ces mousses d’ombre filant fugaces au cul brillant des coulées d’or vomies par les gueulards des haut-fourneaux . Dérive inexorable ! Depuis ces temps lointains, la faille s’est ouverte. Elle court désormais de la Croix Rousse au Panier, du marché des Lices à l’amphithéâtre des Gaule.
Non seulement le rift cisailla-t-il le Gondwana, encore sépara-t-il un peuple jadis unis autour d’un même fromage: le picolardon. Son culte se perdit et se dissous l’unité fromagère, désormais Voconces à l’Est et Helviens à l’Ouest, chacun avec son fromage totem, issu selon des mythes communs d’un ancêtre commun. En témoignent rien moins que César, Hannibal, Strabon, Pline, Tacite.
Telles sont les conclusions infrangibles encore toute provisoires, d’une science nouvelle affranchie de la lentille réductionniste, munie au contraire d’une loupe magnifiante, intégrative, reliante, concernante, connectivante, inclusive, euphorique sans excès de disphorie, positivement édéitique en ménageant l’onirisme – il est vrai parfois malaisante mais à coup sûr post néo-archéo-moderne : l’anthropologie culturelle géo-gastro-astronomique !
Au nombre des résultats prometteurs de cette discipline novatrice, on a pu déterminer que les substances d’une même couleur blanc-beurré: pélardon, picodon, tofu, camembert, munster, maroilles, Pont-l’Évêque, époisse, beurre, etc – partagent toutes une cinétique physico-galactique comparable. A l’exclusion du tofu ! Le sous sol rhodanien N’EST PAS constitué de 豆腐 – dòufu-tofu ! C’est un mythe. Nous en apporterons la preuve.
L’inspiration principale de cette discipline novatrice, on la doit à Evariste Gallois, génial mathématicien hélas mort trop jeune en duel à vingt ans pour l’amour d’une belle: les propriétés d’un objet mathématique dit-il, se projettent sur un autre pourvu que tous deux soient dotés d’une même structure. Ainsi les résultats acquis dans l’étude des archéo-fromages d’Extrême-Occident sont transférables aux archéo-tofu d’Extrême-Orient, moyennant quelque assaisonnement, si l’on peut montrer que les paléo -cratons possèdent la même structure gastro-géologique. Or c’est le cas, mais la démonstration serait trop longue ici. Archéo-fromages et archéo-tofus forment un groupe de symétrie. Etudier les uns, c’est étudier les autres
Aussi importe-t-il, pour rendre compte avec exactitude de l’évolution des confins continentaux, de bien comprendre comment aujourd’hui se cuisine le tofu d’autrefois. Le passé éclaire le présent et inversement. Ainsi la seule Chine propose une époustouflante profusion de préparations à base de soja, ancrée dans le kaléidoscope des particularismes aux dangereuses pulvérulences de la dissolution si revenaient les temps des Printemps et Automnes ou la mandragore des Seigneurs de la guerre. De cette profuse palette, les meilleures épiceries asiatiques de France ne proposent qu’une sélection étique, de sorte que le gastro-chercheur ne saurait faire l’économie d’une enquête de terrain.
Il existe dans l’Orient global des milliers de manières de préparer le tofu. Très frais, il ressemble à du fromage blanc. Préparé avec de la ciboulette 细香葱 – xì xiāng cōng , un trait de sauce de soja, quelques gouttes d’huile de sésame noir, il fait penser à la cervelle de Canut. Egoutté, il passe par le fondant, le soyeux, le granité. On peut le frire, le mariner. Séché, fumé ou aromatisé, il prend sous la dent la consistance du fromage ou de la viande. C’est encore le 五香豆腐 – wǔxiāng dòufu,aux cinq parfums, ferme sous la dent, à la chaude couleur basane. On trouve également du vermicelle de tofu, de la peau de tofu 豆腐皮- dòufu pí, qui ressemble à celle que formait jadis dans la casserole le lait cru. Séchée, elle devient cassante, et s’amollit dans la fondue de Chengdu, servie dans une marmite Yin-Yang à deux compartiments 鸳鸯火锅 – yuānyāng huǒguō, l’un rouge et relevé, l’autre pâle et doux.
Une fermentation anaérobie transforme le tofu en une pâte beurrable. Dans les 胡同 – hútóng de Pékin ou les 弄 lòng de Shanghai, à l’ombre de chapeaux clic-clac de toile blanche, dans de grands woks posés sur des braséros de tôle, des mamies font frire d’épais médaillons de fromage de soja fermentés. L’huile qui y bout est noire à force d’usage. Qu’importe ! C’est si goûteux, entre steack et omelette, si plein de sucs et riche d’arômes ! On repère ce plat populaire de loin à ses suaves pestilences d’excrément frit ! Oh tofu puant 臭豆腐 – chòu dòufu ! nauséabond à souhait comme les égouts de Lahore ! Oh humus bucco-olfactif quand le fétide devient parfum, engendrement croisé du cadavre et du germe, de l’asticot et du phénix !
Ses fragrances font penser au durian, ce gros fruit en forme de ballon de rugby. Carapaçonné comme un triceratops, au nez de lie, de sentine, de fraise, de cloaques de Delhi, de framboise, de banane, de marron glacé, à la pulpe coulant comme un chèvre trop fait, il est le cauchemar des singes qui le guignent mais s’ensanglantent les doigts en tentant sans succès de l’ouvrir. Entre Lille et Gand, sont remugle l’apparente aux fermentations d’une wassingue humide ; en Normandie à Marie Harel et son camembert aux relents de fèces ; entre Vercors et Vivarais il fait penser au nez pointu du foudjou, et partout ailleurs à un organe malpropre.
Aux berges atlantiques, les perfides langues bifides au long nez pâle aiguisent une critique récurrente : le tofu n’a pas de goût ! La belle affaire ! Les patates, les pâtes, le pain, le riz en ont-ils ? Non : ils s’imprègnent des flaveurs de leur assaisonnement ! L’aptitude à se gorger du goût de quoi on l’accompagne, voilà le talent mimétique du tofu !
Pouark ! personne n’aime les chips molles ou le steak caoutchouc. Mais ces fautes d’accord importent peu aux palais de l’Europe. La langue chinoise ne l’entend pas de cette oreille. Pour elle, au contraire, texture et consistance sont des dimensions de l’espace spatio-culinaire, des discriminants du goût que la cuisine explore. Un exemple ? ce plat si raffiné, si cher, minimaliste, presque conceptuel à la manière des feutres de Beuys ou des pouces de César: sur un bouillon fin bien chaud, on pose quelques feuilles fraîches. Verdure spéciale, d’une lignée sélectionnée par des générations d’horticulteurs chinois – d’où leur prix – pour la qualité unique qu’elles possèdent de fondre gluantes sous la langue. Instant de transe suspendue : quelles délices !
Oui, au rebours des papilles béotiennes d’Occident, les bouches 汉 han explorent la palette du mou, du collant, du ferme, du fibreux, du filandreux, du ligneux, du gélatineux, du flasque, du caoutchouteux, du cartilagineux, du croquant, du craquant, du pâteux, du filant, du granuleux, du velouté, du granité. Ah le cœur moelleux sous la peau croustillante du blond cube de tofu 脆皮豆腐 – cuì pí dòufu. Ah, le satin flasque du tofu de la tante Ma – 麻 婆 豆 腐 – má pó dòu fǔ !
Que la Chine goûte autant goût que texture explique la déception qu’éprouve souvent la bleusaille au long nez novice à la dégustation du Canard de Pékin. Un chef haut entoqué le présente entier à la table dans sa robe caramel (dans les établissements select du moins). Le Blanc imagine que le coq s’apprête à y lever aiguillettes, magrets, dos, filets. Que nenni ! Indifférent à l’art du boucher, le tranchoir tranche, coupe et fracasse à travers la carcasse. Quel dommage ! Dommage quoi ? s’insurge l’Oriental. Pour que chaque museau s’enjoie, ne faut-il pas que chacun ait son lot de tendon, de peau, d’esquilles tout autant que de muscle pour dépiauter patiemment, succulemment chaque espèce de charogne ?
Outre la limace de mer ou la méduse confite, les pattes de poulet sont peut-être ce qui offense le plus le palais des barbares de l’ouest. Crochues, tout de peau, de tendons, de cartilage, d’ongles et d’os, marinées de diverses manières et couleurs – bleues, roses, vertes, jaunes, violettes, mastic – il plait au local de les mâchonner, grignoter, suçoter, machouiller, aspirant, crachant, ensalivant, dans un geste total, impliquant mâchoire et âme, fressure et microbiote. Manducation éminemment sociale quand entre amis, après la ronde des plats, à longueur de soirée on construit la grande muraille – 打长城 – dǎ chángchéng (i.e. jouer au mahjong) décortiquant sans fin dans les brumes un peu alcoolisées du cocon chinois qui hait la dissonance, des graines de tournesol dont on crache les écorces qui font au sol un matelas. Que deviendront ces écailles à des éons d’ici, quand les aura barattées le remuement des continents ?
Tout comme les calcaires sont des cimetières de foraminifères, tout comme les massifs coralliens sont des excrétions de polypes, tout comme la craie est un précipité de lait de chaux sous les rôts carbonés du pullulement biotique, tout comme en Californie s’étalent des plages de cadavres de bouteille, tout comme à Yellowstone des mares à fumerolles nourrissent des glaires de cyano-bactéries, tout comme les flatulences d’archéo-bactéries éructèrent l’oxygène de notre planète bleue, oui ! archéotofu et archéo-fromages en couches d’épaisseur formidables sont le bas-beurre du vivant !
Le géologue du futur dressera demain la carte des strates rouillées de carcasses de bagnoles, de machines à laver, de graines de tournesols. De noirs mineurs frapperont de leurs pics ces résidus de mastication, ces filons de mangeaille feuilletés, triturés, malaxés, tirés, poussés, pliés, cisaillés, cimentés, écrasés, pulvérisés, enfouis, caramélisés, marmorisés, calcinés par la marmite nucléaire, battus par les déferlantes de gabbro, recyclés par la subduction des cratons, secoués par les coups de rein de Gaïa et l’éjaculation des tsunamis. Poussière où tout retourne, rocs brûlants roulant psittacistes sur le tapis du lemniscate !
C’est probablement aux abysses amères sur l’échine des costales que s’allumèrent les premiers fumeurs noirs dont les déjections soufrées rassasient crevettes translucides et crabes à croûte molle. Tout cela n’était, avant que naisse le temps, avant que Chronos ne distillât la panade, que film d’archées dans le bouillon de culture des origines. Tout est fruit de la vie. Gaïa est comestible ! L’anthropocène digère. Alchimie aux arcanes anguleuses, athanor délicat où tout dépend du réglage fin des feux. Incroyable série d’ajustements d’une prodigieuse finesse qui mènent des morves dégoûtantes aux marbres persillés de basalte et aux quinconces de dyke qu’on voit pendre aux parois des Pamirs et des Hymalayas ! Car il a fallu pour que tout cela existât qu’un chameau, avec patience dans l’azur, se faufile par le chas d’une aiguille. Et, si la planète bleue est verte, c’est bien résultat du mijotage à feux plus ou moins doux des résidus de cuisine du vivant !
Voici les faits qu’exhume l’heuristique puissante de cette science disruptive qu’est l’anthropologie gastrotectonique. D’un point de vue méthodologique, la démarche s’impose. Car il suffit ensuite, par rétro-ingéniérie et réversion du temps (et une cuillerée d’algorithme du Père Linpinpin) de déduire le passé du présent, et inversement, pour espérer enfin décoder la recette de l’archéo-bouillon.
Que constate-t-on alors ?
Puy Mary vs Mont Paektu
De troublantes symétries !
A l’ouest pèse le Puy Mary, très ancienne bulle de magma figé dont les baves de basalte et les lahars de cendre édifièrent au long des millénaires ce strato-volcan, omphalos des Arvernes, aux pentes duquel Vercingétorix téta le lait chabrot.
A l’est du supercontinent, sur l’autre plateau de la balance Roberval, se trouve un autre strato-volcan : l’énorme mont Paektu, 백두산, la Grande Montagne blanche, 长白山, dont la racine pivot s’enfonce jusqu’au manteau. Un autre dissident naquit sur ses flancs, Kim Il-sung, celui « Qui Transforme le Jour en Or » – 김일성, 金日成 – père de cette dynastie dont le soleil chaque matin espère le lever de paupière pour éclairer le monde à travers sa prunelle.
Le Massif Central est le château d’eau de la France. Chaque jour, il abreuve Marianne de ses fontaines de bouteilles en plastique. Or – coïncidence ? – l’eau et le feu à Paektu s’embrassent. Un lac, le lac Céleste, occupe la caldéra du volcan. Il ne devrait pas se trouver là, expliquent les géologues, si loin de toute subduction. A moins, à moins… que ne gise loin sous la surface, pincé entre moho et manteau, un océan gigantesque, Pacifique et Atlantique réunis. Ses eaux bouent au contact de la forge de Vulcain et ses vapeurs salées percolent les roches encaissantes, les archéo-tofu. Ainsi Paektu est-il comme ces petits pains – 馒头 – qui cuisent à la vapeur dans leur panier de bambou.
N’est-ce encore qu’une coïncidence que protrude en Mer jaune un cap – que dis-je ? – une péninsule, un appendice, le Shandong de granite ? Il est le nez oriental de L’Eurasie comme Blanc Nez et Gris Nez sont les truffes du ponant que mouche l’Atlantique ? Ces deux oblongues capsules ne sont-elles pas tout également de vieilles croupes cristallines ? La célèbre bière Tsingtao – 青岛啤酒 – n’a-t-elle pas la couleur du chouchen ? Quant à la ville de Qingdao, capitale du Shandong, avec ses villas coloniales, n’évoque-t-elle pas la celte Brest ? Et Maître Kong – Confucius – né natif du Shandong, n’est-il pas quelque cousin de Merlin à la mode de Bretagne ?
Si les ressemblances sont nombreuses et troublantes – tofu, pélardon, picodon sont bien tous trois de couleur jaune-beurré – l’honnêteté critique impose d’aussi noter dissemblances et singularités. Sous Paektu, tofu cuit aux vapeurs salines ; au pays des Arvernes, limon de caséine et de lait de chaux lessivés par la fonte des glaciers !
On le sait : temps et histoire usent l’émail et l’ivoire des dents. Les chryséléphantines ont toutes succombé aux radulas des vrillettes. Ainsi vont parallèles trottant à l’amble manducation et cognition. Ainsi encore pour écrire ces lignes a-t-il fallu d’abord au paléolithique graver de cupules mimant la course des astres des plaquettes de pierre, puis avec Ptolémée, Copernic, décentrer l’univers, faire avec Galilée et Képler un pas cosmique de côté, avant que Poincaré, Einstein, Bohr, Schrödinger, Planck, Dirac – tant d’autres – déplacent provisoirement l’espace-temps à l’angle de la cornée.
Le reste du récit est trop connu pour qu’on le raconte. On se souvient qu’en son temps la découverte, aveuglante d’évidence, passa d’abord inaperçue. Mais un jour, fulgurant dans l’azur de marbre, elle en ébranla les placides piliers. Depuis des études nombreuses et variées – en micro-gravité, sous enclume de diamant, dans l’infra-jaune et l’ultra-rose – ont confirmé la découverte. Reste ce mystère : comment le fade peut-il naître du fort, l’insipide du goûteux ?
Depuis des décennies pourtant s’accumulaient les indices. On s’expliquait mal la formation du fossé rhodanien. On savait le Gondwana principalement constitué d’archéo-caséine, racine commune tant des protéines du lait de soja que du lait de chèvre, tout comme les archées sont mères des eucaryotes. On supputait notre lune résultat d’une collision ancienne entre Gaïa et Théïa, astéroïde libertarien sauvageon parcourant sur son erre ipséïste les molles géométries riemaniennes de l’outremer surréaliste.
Bien plus : les éléments trace décelés dans les échantillons ramenés de notre satellite (caillette, châtaigne, foudjou, bouquet garni) pointaient vers le lieu géographique de la collision, au mitan de la Drôme et de l’Ardèche antédiluviennes : au beau milieu du Gondwana ! On dépêcha derechef aux quatre orients des deux départements des missions d’exploration à grande débauche de pales d’hélicoptère brassant des palanquées de vent. Et l’on finit par identifierun cratère fossile de longtemps enfoui sous les sédiments. Mais surtout, planté à son ourlet, un pannonçeau confirmant que c’était bien là le centre du Gondwana ! (On peut toujours l’y voir à la Baume-Cornillane [2]!) Décisive, la preuve était irréfutable.
D’un coup se complétait le puzzle. L’ocre des terrains séléniens ? Leur velours grumeleux entre cantal, comté, beaufort ? Cet effluve de farigoule quand on frotte une pierre de lune à la manière de l’ambre ? Bon sang, c’était bien sûr ! Par comparaison le petit pas d’Amstrong était un trébuchement. Contre Ariane, contre Apollo, contre Spoutnik, contre l’ESA et ses tombereaux d’euros, contre la NASA et tous les lingots de Fort Knox, c’était là l’exploit à petit budget de deux astronautes free-lance aux caractères bien trempés. Leur fusée à damier rouge et blanc trône désormais au rond point de Chabeuil[3]. Oui, Gaïa et Séléné partagent une même origine fromagère. Wallace et Gromit avaient raison qui pique-niquèrent là-haut à l’aube d’un lever de terre, se délectant de succulents morceaux de lune, rien d’autre que du pur cheddar [4]!
[1] Selon certains experts, l’appellation archéo-pélarcodon serait plus adéquate. Débat semblable à un autre : faut-il dire Golfe persique ou Golfe arabique ? Dispute sur le genre des anges – naît-on ange où le devient-on ? – dont débattaient âprement à Topkapi dans la Constantinople assiégée prêtres, docteurs et savants, mages, vizirs, émirs et mirs.
[3] Bien que certaines chartes anciennes attribuent l’engin au mythique héros Tintin
[4] C’est l’aventure de ces deux héros que dépeint le film « La Grande excursion » de Nick Park et Julian Nott (1994), en s’écartant toutefois libéralement de la vérité historique.
Une rue de la ville de Qingdao – 青岛城市 – dont le caractère européen résulte du fait qu’elle fut une colonie allemande, d’où également la bière du même nom qui ne s’apprécie à ses pleins effluves et goûts qu’en Chine.
Un ami sinophile m’écrit de Bretagne, notre Shandong 山东 à nous.
Ou plutôt notre ShanXi 山西 notre Ouest montagneux,
Car Gris Nez lèche Océan au ponant 西
Océan Ωxεανούς l’immense fleuve grec coulant autour des continents que la Chine nomme 太平洋 le grand fleuve pacifique !
Mon Breton sinophile cite 习近平 Xi Jinping, l’actuel président chinois
Xí Jìn píng qui « S’exerce 习 à approcher 近 la paix 平 ! » Marrant, non ?
La Corée écrit ses patronymes en caractères chinois. Le nom du dictateur de la partie Nord, Kim Jong-un, s’écrit 金正恩 ! Bienfait ou Bienfaiteur 恩 de la rectitude 正 d’or 金 ! Désopilant.
Ou non ?
Illustration: Une rue de la ville de Qingdao – 青岛城市 – dont le caractère européen résulte du fait qu’elle fut une colonie allemande, d’où également la bière du même nom qui ne s’apprécie à ses pleins effluves et goûts qu’en Chine.
Le Vendée Globe Challenge se court actuellement. Grâce à des caméras embarquées, des satellites constellant l’azur de leurs chiures, grâce à des émetteurs, pleins de coltan qui assassinent les gorilles des barres de plutonium des millions d’heures de travail harassant des puces Nvidia des Amazones d’eau pure abreuvant des centre de données gobant des gabegies d’énergie nous voyons à l’étrave des bateaux profilés filer l’onde en remous tendus. Véolia, Veolia Environnement fait partie de la course ! Ils triment les beaux navigateurs ! Ils suent. Ils feront demain la pub pour des déodorants. Naguère, Bernard Moitessier refusait la course. Le monde avait un sens.
L’air surchauffé vibre sur la plaine sans bords entre Sahel et Sahara. fondue à blanc l’atmosphère chatoie de langues mouvantes d’argent vif où s’accolent, s’embrassent, se délient des flaques de carbone en mouvants miroitements dessus, flottant entre ciel et horizon paît une gazelle gracieuse qui hasarde dans l’eau du mirage un sabot délicat.
Sur le chaudron de photon, sur le magma de lumière dense pèse un azur solide, sec, pur, dur, plane un bourdon minéral à peine troublé par les notes indécises d’un luth lointain qu’égrène un plectre.
Là, au milieu de nul part, à l’ombre chiche d’une zériba posée sur l’arène un douanier s’est assoupi transistor à l’oreille. Cette cabane de palme, c’est le poste frontière entre Niger et Mali.
Au mitan de ce néant, les vibrations hésitent entre réel et illusion, entre ébranlements hertziens d’un lointain muezzin et la corde de peau et le corps de bois du djembé et de la derbouka, de la cora, du luth.
Au centre de ce rien, à la frontière de deux paumes nues s’affrontent deux devenirs Dans les madrassas, les corps balancent rythmiquement les dos ploient aux cinq prières du jour on rêve d’une vie codifiée sous le regard de Dieu tandis que les antennes des villes hérissées d’envies frustrées beuglent leurs publicités . Pour ces terres sans confins l’Islam rêve d’un autre pacte entre l’homme et le divin entre l’homme et la femme, entre tumulte du désir et sagesse équanime, entre l’homme et un Dieu qui le garderait à distance encore dans l’attente d’une incarnation non encore advenue et qui le rend modeste.
A la scansion, à la ritournelle, à la coutume, les fils des Grecs préfèrent le changement, le progrès, le temps des engrenages, le temps cumulé à intérêt, la flèche orientée.
Choc des civilisations heurt des durées Il n’y a pas dans le clip -parenthèses du temps – ou les échantillons du rock dans le halètement des machines l’espace suffisant pour la lente catalyse du répons birman, l’égrènement du nan-guan, les ciselures du luth
La brise marine apporte par bouffées des bribes d’opéra. A un jet d’œil une rizière inondée [1], qu’un buffle au pas grave laboure: son encornure lourde balance lente au rythme de l’effort.
Sur une margelle un transistor est posé. L’araire progresse dans la boue, tirée par le sabot.
A l’ombre d’un cône de paille, les mains sur les conduites de bois, le paysan arpente le boustrophédon du sillon qu’il trace, qui l’éloigne, le rapproche, l’éloigne, le rapproche de la sempiternelle mélopée. Parfois l’haleine saline apporte les vocalises presque humaines qu’égrène un lointain violon à deux cordes. Depuis combien de siècles le paysan pousse-t-il son buffle ? Comme son sillon boustrophédon, l’opéra cantonais revient sans fin sur des thèmes inlassables.
Une fois l’an, sur la place du village[2], une troupe itinérante bâtit son théâtre provisoire, et sous les cintres de bambou prolonge la tradition. Les maisons du bourg s’adossent à la pente, le dos léché par la jungle où errent les pythons, réservoir sans fin d’envahissants cafards, d’iules vermillons et de termites ailés. Dans les vides sanitaires, des cobras chassent les rats.
Devant, le village ouvre vers la mer sur une large aire commune, plane et rectangulaire. De là, la vue embrasse sous un angle très ouvert une pente déclinant mollement vers l’estuaire incandescent sous la pluie de lumière de la Rivière des perles. Dans la brume tropicale presque dense les potagers sont piqués de peluches géantes en guise d’épouvantail : Mickey ici, là-bas, la Panthère rose ! Les rizières miroitantes, l’ocre clair de l’arène piquée de friches rases, les boqueteaux de bananiers aux palmes paresseuses, les plumeaux légers des touffes de bambou où erre le serpent vert que ne craignent pas les chats mais qui les font baver ! s’étalent dans la lumière paresseuse.
Sur l’aire bétonnée, deux panneaux de basket pour les adolescents. Quatre ou cinq échoppes minuscules vendent de la bière et le dépannage du quotidien : huile, nouilles rapides, cigarettes, woks, clous, épingles à linge. Une glacière, quelques tables pour boire la Tsingtao, des parasols, des blocs équarris de tuf volcanique en guise de banc : l’île est une bulle de magma sur laquelle ont vomi des volcans plus récents.
La troupe construit sa scène, haute et couverte, vaste comme une maison. On cloue sur l’armature de bambou des plaques de tôle. Elles brillent sous le soleil dur. Du clinquant, des bannières, des oriflammes, des fanions jaunes flottent, aux caractères noirs, rouges, dorés ou violets balancés par la brise. Tard dans la nuit chaude des projecteurs l’éclairent. Sur le désordre de chaises massé devant la scène, on s’assoit. Les grands-mères apportent leurs travaux d’aiguille ou ramendent une vannerie. On assiste, on écoute, on papote.
Lassé, ou rappelé à la nécessité, on retourne vaquer aux besognes du jour, de la marmaille qui crie pitance, pour revenir le soir au bercement de la psalmodie, tantôt grave, tantôt le cœur battant des joies et des courroux mimés, sursautant soudain aux trilles suraiguës du faux castrat, tandis que se déchaînent le tintamarre aigre des cymbales, que le violon se plaint, que la peau du gong battu fait vibrer l’estomac, que les longues plumes de paon des tiares rejetées d’un coup de nuque fouettent l’espace, qui miment le geste d’un vieil empereur dont les colères, caprices, intuitions animales construisirent le monde, dont on ne sait plus si elles furent géniales ou seulement triviales.
Des jours durant, la représentation se joue, de la fraîcheur relative du matin à la tiédeur revenue longtemps après le crépuscule précoce. Assis de part et d’autres de la scène, en costume ou encore au civil, les acteurs se restaurent. On entame les dômes blancs du riz tassé dans de petits bols de laque rouge, tandis que l’opéra continue, indifférent au friselis des baguettes.
C’est la vie même qui dure et passe, la vie datée et périssable, comme celles plus essentielles, les dits d’annales ou de romans des concubines, des amants, des ducs, pleines de vengeances, de trahisons, d’amours secrètes, de courroux léonins, de guerres, de ruses et de diplomatie. On écoute ou l’on bavarde, on s’assoupit ou bien l’on apprécie, on reste ou l’on s’en va quelques heures pour revenir ensuite finir le jour l’oreille bercée de ces histoires antiques, vieilles comme la culture que tout le monde connaît.
Et l’on n’a rien manqué, car elles ne changent jamais et leurs épisodes s’emboîtent comme les nuits suivent les jours, comme les équinoxes s’enchaînent aux solstices. Sur le fond de l’histoire, le buffle tire l’araire, le paysan la pousse, le sillon se replie. L’opéra disparaît : c’est l’une des dernières troupes foraines de Chine.
Comme ces graines capables de germer après des millénaires, la musique invoque en un même présent un point de capiton entre des mondes éloignés dans l’espace, le temps, les subjectivités.
Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre. A l’oreille du fœtus, le cœur de la mère est la première cymbale, le premier métronome. Cadence, contre-cadence, clappe rythmique, craquètement des bâtons de musique, une joyeuse troupe préhistorique, enfants, femmes, nourrissons sur les reins, frappe l’eau à pleine paume, poussant le poisson dans la nasse de fibre premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs, équivalent humain des chronicités animales, des symphonies coassantes, des vagues stridulantes des cigales, des concerts perchés des singes alouates, entre assonance et disonance, qui ne hurlent pas mais cherchent la musique.
Ces chœurs évoquent dans l’ordre sonore l’ovulation simultanée des harem animaux celle des femmes qui cohabitent la floraison des bambous partout simultanée la course parallèle des cerfs en rut qui en une volte sublime de synchronie affrontent leurs ramures.
C’est l’ahan des souqueurs, contraction et détente alternées, le répons collectif du souffle à l’arc-boutement des reins sur la houe. L’animal aussi connaît cette conjonction du labeur et du muscle : buffle masaï, peuhl, cantonais ou picard à l’arroi, les yeux mi-clos comme de plaisir ou de méditation, tandis que le pasteur fredonne sa mélopée et module ses cordes. Rythme inscrit à la fibre de l’effort et du muscle, souffle-cri propre à chaque culture, celui des rameurs abyssins de Montfreid expirant en cadence.
Danses, rondes, transes accompagnent l’homme depuis qu’il naît à-lui même, si lointain héritage qu’il est sans origine. Longtemps, quand l’homme se nourrissait encore d’effort, de trivial, de sublime, scurrile et transcendant cohabitaient sous les mêmes calottes de crâne et d’étoiles : planter, manger, vivre, voir, chanter !
Temps congru à la boucle des jours, sous la voûte tournante des cieux, dont le corps est le mètre. Dans nos villages, sans clocher encore, le veilleur souffle sa corne pour annoncer l’aube revenue. Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs, lassitude reposée en mélangeant les corps d’où surgit le futur.
Lors, rien ne saurait éteindre l’épuisement moral de l’homme moderne, à qui le temps n’appartient plus à force de le compter, et ne sait plus quel sens a l’existence.
Le nan-guan – 南 管 , souffle du Sud – est un récitatif monocorde originaire de la province côtière du Fujian, l’antique Min-Yue –闵越- au sud-est de la Chine, rebelle royaume racine de la belle Formose. Sa trace est ancienne, un demi-millénaire avant la naissance du Christ selon notre comput. C’est une musique discrète, mélancolique, élégante, lente, méditative. Une interprète unique parfois dont la voix enlace en chaîne continue, encore et encore, les boucles d’une mélodie linéaire. Sur cette plaine monocorde l’accord surgit, non pas de la synchronie, non pas du rythme, mais de la rémanence des instants, entre sons neufs et sons juste passés. Les notes qui fuient résonnent avec celles qui jaillissent. Passé et présent concordent dans l’oreille.
La Birmanie préserve vivante une tradition lyrique de gracieux répons amoureux : une jeune fille, craignant d’être séduite et redoutant de ne pas plaire sans cesse chante à son soupirant ses refus engageants. Mélopée, paroles, soupirs, nuances s’enlacent, s’enroulent et se délient, toujours reprenant leur danse embrassée. Crainte du rapprochement, de la prise qu’offre le désir à la violence. Sans la crainte surmontée du rapprochement des corps, sans le répons des amants, à quoi servent les parades animales et les codes humains de la cour amoureuse, pas d’étreintes fructueuses, pas d’oreilles pour entendre, pas de musique, pas de temps.
Le nan-guan comme la mélopée birmane tricotent leurs boucles musicales en chaînes continues, récursives, cycliques. Les deux genres renvoient à la lente scansion balancée de la mémorisation orale, à la mélopée, aux généalogies des griots, aux rouelles et svastika scythes, celtes, védiques, au balancement des madrassas, que vient barrer la croix chrétienne fléchée entre origine et fin.
Voici le début de la glissade exponentielle l’été sera celui des incendies. on aimerait se mettre la tête sous le sable pour ne pas voir la catastrophe s’approcher à grands pas Anxiété
Il fallait cela la guerre pour réveiller les consciences. Maintenant c’est septembre l’été n’est pas fini. L’optimisme s’efface les vagues s’additionnent, la suivante chaque fois plus haute. Charogne des poissons morts. L’été prochain sera le même, au carré.
Les fourmis, les blattes survivront débarrassées des stupides sapiens, morts au berceau à trois cents mille ans d’âge de géniale bêtise ! L’anxiété est diffuse et générale, le désespoir enthousiaste dans la fulguration de tous les angles que la catastrophe change
Angoisse Plus de retour possible. Les humains s’agglomèrent préparant l’explosion Leur arrogante confiance les condamne. Oublier, oublier, que le monde est perdu que la seconde flambée sera pire danser, danser, jusqu’à la chorémanie !
L’ouïe n’entend qu’au travers des préjugés et des filtres de la culture, des écumes desquels nous affranchit la musique. Par delà les époques et les identités, elle coud, libre d’époques et de frontières, un point de capiton entre des mondes distants, ressuscite l’ouïe, la voix, les doigts des musiciens morts, y synchronise le vivant dans un commun virtuel présent.
Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre tandis que le cœur de la mère est le premier métronome cymbalant à l’oreille du foetus. Clappe rythmique, cadence, contre-cadence, claquement des bâtons de musique, halètement du didjeridoo, scène totale du rite ou geste et symbole, bouche et âme, physique et métaphysique, parois de pierre et tétons de calcite, partagent une même substance, tandis qu’approche une joyeuse troupe préhistorique, enfants, femmes, nourrissons dans le dos, battant des paumes l’eau, poussant le poisson dans la nasse de fibre.
Premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs. Ils sont chez le bipède l’équivalent des chronicités animales, des symphonies coassantes, des vagues orchestrales des cigales orientales. Ils évoquent dans l’ordre sonore l’ovulation simultanée des harems animaux ou des femmes qui cohabitent. C’est la course parallèle des cerfs en rut, qui en une volte sublimement synchrone affrontent leurs ramures.
Le rythme s’inscrit d’abord dans le métabolisme du muscle. C’est le souffle-cri des rameurs abyssins de Montfreid, expirant en cadence ployés sur l’aviron. Chant d’effort inscrit à la racine du corps tout coloré de culture. C’est l’ahan des souqueurs, l’aria des tractions et détentes alternées des bras, épaules et coeur. C’est le répons choral qui soutient l’effort de la houe et l’arc-boutement des reins. Temps métabolique que l’animal à l’arroi, buffle masaï ou peuhl, bœuf picard, au labeur difficile, endure les yeux mi-clos et comme méditant que pousse la mélopée du bouvier traçant le sillon.
Danses, rondes et transes accompagnent l’homme depuis qu’il naît à lui, héritage de si loin qu’on n’y saurait trouver ni terme ni origine. Longtemps, la mystique se nourrit du geste, trivial, poétique, acrobatique, astucieux, laborieux, dont le corps est le mètre, dans la boucle des jours sous la voûte tournante des cieux.
Dans nos villages, encore sans clocher, le veilleur souffle sa corne pour avertir de l’aube revenue. Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs, la lassitude du corps demandant sieste et repos. Salubres courbatures de l’histoire immobile quand l’éreintement moral guette l’homme moderne qui ne connaît plus de raisons à ses jours faute d’encore être maître du temps.
Parti en cocaïne visiter le Sahara ou plus loin la nuit baillait un jour laiteux de son sabot ma monture leva dans une coloquinte lové un scolopendre du cocon ligneux ennuyé et marri d’être ainsi tancé le multipode désigna mon nez instantanément plus gras et plus brillant je louchais sur le miroir céreux où brillait une étoile de cellulose une fleur d’ouate à la lumière de diamant
ma mule tanguait sur des croupes de sable avec comme seul orient entre mes yeux cette étoile sur mon nez il me fallait la suivre je montais, descendais des marches minérales entre des haies d’yeux blancs suivant ma silhouette dans des visages noirs d’autres à mes pieds gisaient
c’est de Sète que je partis ayant dormi deux jours dans une villa ravagée de la Colline Saint Clair dont je sautais le porche art-déco voilà trois pièces la première au lavis bleu jonchée de gravats la seconde sanglante rongée de moisissure dans la troisième les éclats d’un miroir les chiottes sont couverts de poussière la pluie à l’aube me tira de mon gîte tout près, la grande croix de néon achevait de baver sa laitance blafarde dans le jardin de l’église Je rencontrai Aïcha qui vit l’étoile sur mon nez en parla à Malika, celle qui sort avec Esteban Ils me gavèrent tant de leurs conseils et apories croisées que n’en pouvant plus je rentrai à Montpellier astiquer l’étoile d’ouate.
Encore une nuit dans la mort trouée. Il l fait noir, ça pue. Je me suis affalé ce matin avec mes chaussettes. J’entends étouffé le bruit des poubelles métalliques qu’on remue. Cette histoire doit être ancienne, car les poubelles sont désormais en plastic par arrêté municipal.
Quand je me suis réveillé, j’étais assis sur mon lit, les draps bien blancs luisant faiblement. Mon lit était tourné contre le mur, sans que je sache s’il s’agissait d’un exercice Zen ou une d’une punition pour je ne sais quelle faute. Dehors bien qu’il ne plût pas, le paysage était inondé. L’eau mouillait tout, les chaussées, les automobiles, les vélos, les devantures, les passants, sans tomber.
La journée précédente avait été belle, la lumière jouait dans les rideaux jaunes pâles. Je n’avais rien fait, juste regarder les passants autour de la fontaine en bas et les consommateurs aux terrasses des cafés. Ma vue s’attardait sur les cuisses et les poitrines des jolies filles. J’aurais certainement pu en persuader une de grimper sur ce lit. Mais il m’aurait fallu descendre. J’ai donc allumé la télé.
Il s’est mis à pleuvoir, et tout a été balayé, les passants, les terrasses, les parasols, les arbres, tout était trempé d’eau, qui fuyait vive dans les avaloirs, chevauchée par des pirogues de feuilles. Le jour avait fortement décru, comme si on avait éteint la lumière. Mais j’avais toujours mon poste branché.
Je préférais qu’il fasse sombre : après tout cette lumière me dérangeait, et les filles n’avaient qu’à faire aussi un effort. L’esprit du moine Zen doit être tranquille comme la flamme qu’aucun souffle ne trouble. Moi, j’étais plutôt comme le glaïeul ou une autre fleur à tige charnue plantée dans son vase ; tout aussi stable que la flamme, aussi tranquille, je ne pensais pas aux tremblements de terre.
Que m’importait la météo, la bourrasque au dehors, les garçons de café rentrant en hâte leurs fauteuils d’osier : je préférais savoir le temps à New Delhi ou à Pékin sur ma télévision. J’avais de tout façon au réfrigérateur, dans les placards ou les tiroirs ma provision d’intempérie, de vagues, de vents violents et d’éclats de tonnerre, suffisamment de réveils inondés par les fleuves ou les pleurs, suffisamment de bière pour me noyer, d’alcools forts pour sonder les catacombes, de tabac pour imiter la ville (c’est un des principaux avantages de la ville que de priver les gens d‘air).
Dans ces conditions j’avais peu d’énergie pour mes journées. Je restais coi sur mon lit à l’envers aux draps faiblement éclairés. Par la fenêtre, je devinais la cime des arbres, coupée par l’appui vert de la fenêtre. J’imaginais l’écorce noire et humide des branches des arbres de la cour, fichées en terre en quinconce comme des mains figées. Au-delà je voyais les toits d’ardoise pointus de quelque bondieuserie.
Je savais toute la ville immobile. D’ailleurs, elle n’avait pas beaucoup de place entre le ciel bas et sombre et tout ces murs mouillés qui s’arrêtent à la plaine faute de repères : cinq cent mètres après la plaine c’est toujours la plaine. Je m’en souviens comme si c’était hier, mais franchement je n’ai plus le goût d’écouter. Il a tellement plus que ça été dissout. Ce n’est plus qu’une question de temps : ces filles qui pourraient venir ou que je pourrais aller chercher, je m’en fous, comme de ces confidences livrées, ces nirvanas rêvées : je m’en fous. Si désormais, je ne fais plus rien, je mourrai jeune.
Il faut parfois raconter l’histoire telle qu’elle s’est déroulée. Sans fard. Sans en rien retrancher, ni ajouter. Sans prêter l’oreille aux racontars. Non, il n’y a ni cresson, ni glaïeuls. Pas un trou au côté, mais au milieu du corps, une béance énorme. On voit le ciel au travers.
Exécution au canon? Tir de roquette depuis la gare? En tout cas, l’impact en plein coffre fut si violent, le métal vaporisé si abondant, que l’homme se figea instantanément dans le bronze. Un éclat du projectile a d’ailleurs cassé l’orteil de marbre du Déporté couché (incident vite réparé).
Qui était cet homme? Pourquoi une mort si atroce? Simple voyageur? Couverture? Est-il tombé dans un guet-apens? Des puissances étrangères? Restons sourds à ces rumeurs.
Mais la valise : que contient-elle? Quels indices? Des clous? Des boulons? Des gamelles et des bidons? Des scolopendres, de la scopolamine, de la salsepareille, des scorsonères? Ou peut-être des cétoines et des situles, des limules et des sousoucs, des cicadelles, des caméleopards suivis de lycaons – ou des paons, ça dépend – des colophons, des tire-comédons, des vers boustrophédon… et, sait-on, des sot-l’y-laisse, des canons à cancrizans, et aussi des marées de syzygie? Ou bien des sybarites, des stylites, des placomusophiles, ou encore des laies suitées? Au fait, quelle heure est-il? Quel temps fait-il dans la valise? Alice y chute-t-elle? Et le lapin? Mystère!
Attention! Autour de l’homme de bronze rôde une malédiction : qui tentera d’ouvrir la valise sera changée en statue de sel!
Même si la pluie finira par vous dissoudre, prière aux candidats à l’éternité fongible d’adopter une pose décorative à l’instant fatidique. Car les Crestois auront un temps à supporter votre effigie. Autant être à votre avantage!
La girafe volante est une espèce fréquente sous nos latitudes bien que rarement aperçue. Tournoyant par troupeau en altitude, son pelage violet la rend peu discernable sur l’outremer de la plupart de nos nuits.
En août, il arrive qu’on repère leurs troupeaux sous forme de grappes d’ombres filant en silence devant l’averse d’étincelles des Céphéides plongeant dans l’anneau lactescent de notre galaxie. Plus rare encore ce spectacle d’une aurore méridionale déployant avec une lenteur magistrale ses draperies chatoyantes que griffe le vol noir des ruminants ailés.
Peut-être ému d’une telle beauté, le pelage de l’animal se met alors à palpiter, virer à l’or, à l’émeraude, au rubis, au saphir, à un diamant si limpide qu’ils font comme des yeux ouverts sur des abîmes d’encre. Oui au ciel la girafe partage avec le calamar et les poulpes au fond des lagons l’aptitude surprenante à montrer ses émotions en palpitant de couleurs !
En rêve on voit parfois le troupeau entier synchroniser ses moirures. Alors à l’œil chanceux advient un singulier phénomène: comme à Montélimar le caramel fige sur les amandes du nougat blanc, l’espace entier se coule dans une forme de marbre. Oh certes elles glissent les girafes mais au fond rien ne se passe !
Les girafes sont friandes de fleurs colorées poussant au sommet de lieux à long panorama : éminences, monts, buttes, mottes. Car comme au flamand rose, leur pitance leur fournit les couleurs. C’est pourquoi elles batifolent en rase-mottes pour gober suffisamment de lucioles, source des photons de la parade amoureuse qu’elles offrent aux nuits d’été. Une seule espèce de pétale leur est toxique : l’orchidée de l’homme pendu (1).
Cette plante affectionne les anciens gibets. Si, comme au-dessus de la croix de Romans (dit « rond-point des Gilets jaunes »), vous habitez près d’un ancien lieu de supplice, alors s’il vous plaît, éradiquez l’orchidée pour préserver la girafe !
C’est un mythe que ces ongulés, comme les martinets, voleraient en dormant. Ou encore que leurs lèvres préhensiles au bout de longs cous au terme de longues pattes jamais ne frôleraient la boue où s’engluent ces étincelles de lumière qui sont l’âme des hommes. Nostalgie de l’étoile !
Sûr à l’inverse qu’elles évitent à tout prix de se poser au fond des vallons. Car dès disparu le dernier rayon de lumière, l’air soudainement refroidi interdit tout essor. Bien lamentable le sort de ce héron – cousin éloigné de la girafe comme le poulet du dinosaure – aperçu un crépuscule d’hiver entre Beaufort et Mirabel pris au piège du puits froid d’un val froid ombreux, condamné à une longue nuit d’anxiété et de périls loin de ses aimés.
Comme certaines pipistrelles, la girafe volante violette est cavernicole (2).
Mais à la différence du héron, qui sommeille vertical, la nuit la girafe en rêve perd consistance. Elle gonfle et flotte libre comme un ballon d’hélium. Sans le plafond d’une grotte, un courant d’air, une bousculade et la voilà évaporée dans l’encre de l’éther ! Aussi les girafes violettes n’ont-elles survécu que sur les planètes à gravité.
Si Newton avait vu une girafe s’envoler plutôt qu’une pomme tomber, que seraient devenus la physique, le monde et tous ses avatars, les quarks, les gluons, les baryons. Nos corps seraient-ils sans pandémies ? Que serait Marck sans Méta ? La terre serait-elle plate, le phénix réveillé de ses cendres, l’unique naîtrait du même, à jamais demain serait comme hier, le vieillard inhumerait le nourrisson, poule et faisan auraient même ramage, esclavage et liberté se contempleraient en miroir ?
A t-on jamais vu un oranger sous le ciel irlandais ? Absurde ! Fieffés fols qui prétendent que les girafes s’hybrideraient aux poissons volants ! Un peu de bon sens, enfin ! Un petit oiseau, un petit poisson…mais comment s’y prendre ?
« Cogito ergo sum ». Certes, mais avant de penser, il faut être, ou plutôt exister. Selon les grammairiens « être » est un verbe d’état. Etre est ! Ne pourrait-il pas l’être ? De quel état parle-t-on ? Pour lire ou entendre, il faut qu’oxygène et glucose alimentent l’entendement. Il faut que mon cœur ait battu, le sang circulé les synapses fulguré l’univers tourné. Etre est le mouvement d’exister, l’appétence à perdurer et se maintenir singulier dans l’instabilité et le flux où se dessinent des vortex, des môles de transiente stabilité, les figures d’étranges attracteurs comme des frondes pour propulser dans le cosmos immense, le destin des glébeux à la tignasse céleste. Etre serait un verbe d’état ?
Oxymore ! Le verbe, c’est l’action, le geste, l’onde qui ébranle le vide : la vie ! Comment l’action pourrait-elle être état ?
Puisqu’il faut naître pour penser, il faut un coït au cogito. « Coïto ergo sum »: je copule donc je suis !
Des gueules noires s’étourdissent de bière dans l’atmosphère bleue de fumée et de rock d’un pub de Glasgow. Leurs machines se sont tues, à l’issue de plus d’une année d’une dure grève. Jadis, ils étaient paysans ou pasteurs, vivant au rythme des éléments et de la course du soleil. Ils poussaient leurs moutons sur les parcours communs – les commons – dont l’institution plonge, avant l’histoire, aux racines du clan. Ils se heurtent bientôt aux clôtures fichées par le baron ou le shérif spoliateurs devenus gentleman farmer.
L’ordre du monde pivote, le clan perd sa vigueur, l’ordre nobiliaire s’affirme. Des galeries plongent sous les tourbes d’Ecosse à la recherche de l’anthracite aux veines qui taraudent de plus en plus profond. Insoucieuse de la marche du soleil, la mine enfourne trois fois nuit et jour sa cargaison bipède pour nourrir de puants hauts fourneaux qui vomissent de vêpres à matines leur bave rougeoyante et noire.
toile de Vera-Molnar.
De cette fonte on fait des rails et des roues, cordes et plectres des sonorités modernes, gongs des marteaux-pilon, sillon du diamant dans la houille de vinyle. Des rails balafrent la campagne, chaîne d’une toile qui drainent vers les villes les pasteurs devenus bêtes de fer, réglés par la pointeuse, le tour d’équipe ou l’amende de retard. Les métropoles bientôt tentaculaires stridulent, sonnent, tintent du bruit alternatif des limes, rotatif des tours, trépident du choc des pilons, du halètement asthmatique des locos qui s’éloignent dans une nausée d’escarbilles. Partition de fer et de fonte, hululements de la vapeur, striction suraiguë du sifflet, chuintement des fumées, trépidation térébrante, roulement et saccade, voilà la source de l’accord plaqué du riff tachycardique du rock !
Musique industrielle dans ce pub de Glasgow, où vibre en contrepoint comme un écho d’agonie la cornemuse farouche. Musique de résistance et musique de défaite. Défaite de l’Ecosse. Défaite du temps paysan devant le temps industriel. Défaite des mineurs devant la Dame de fer. Morte la cornemuse, défunt le flageolet, oubliées les scottish, les rondes, les gigues, les farandoles qui tiennent encore au mai celtique. Les accords se plaquent et les riffs hullulent dans un temps débordant, instantané, saccadé, saturé, épuisé derechef, qu’il faut sans cesse remplir à nouveau, de clip en clip.
Tout est donné dans ce temps bref unique, à prendre, à jouir, de suite, d’urgence, dans l’anxiété de l’irrémédiable fuite de l’instant. Agitation, queues de poisson, klaxon, vitesse et excès, freinage d’urgence, radars, énervements, embouteillages, encombrements, agenda électronique, synchronisation des données, portable, alarmes et notifications, retards, avion raté, fulminations, ulcères et contractures : Chronos dévore même les ducs et les barons du nouvel âge sombre, traders, lawyers et businessmen, auto-esclaves d’un temps qu’ils assèchent à force de le pousser.
Quel changement ! Naguère encore les puissants marquaient une cadence tout autre. Le riche, le noble mesuraient leur aisance à leur désœuvrement. On menait du bout des doigts les dames au menuet. On savourait à petite lampée la ronde des aiguilles sur le cartel de bronze. On préférait les mélodies tranquilles au harcèlement du tympan. A petite foulée, par cols, vaux et forêts, de relais en relais, Jean-Jacques Rousseau, ralliait Genève à Lyon, à pas d’homme, dans un silence qui effraierait le moderne – dans la vallée, où roule lent le Rhône poussant de pesantes gabares, nul poids lourd, nul bolide. En route, Jean-Jacques se fait une amie et partage sa nuit.
Voici le début
de la glissade exponentielle
l’été sera celui des incendies.
on aimerait se mettre la tête sous le sable
pour ne pas voir la catastrophe
s’approcher à grands pas
Anxiété
Il fallait cela
la guerre
pour réveiller
les consciences.
Maintenant c’est septembre
l’été n’est pas fini.
L’optimisme s’efface
les vagues s’additionnent,
la suivante chaque fois plus haute.
Charogne des poissons morts.
L’été prochain sera le même,
au carré.
Les fourmis, les blattes survivront
débarrassées des stupides sapiens,
morts au berceau à trois cents mille ans d’âge
de géniale bêtise !
L’anxiété est diffuse et générale, le désespoir enthousiaste
dans la fulguration de tous les angles
que la catastrophe change
Angoisse
Plus de retour possible.
Les humains s’agglomèrent
préparant l’explosion
Leur arrogante confiance les condamne.
Oublier, oublier,
que le monde est perdu
que la seconde flambée sera pire
danser, danser,
jusqu’à la chorémanie !
A ma peau suspendues tes caresses
et mon cœur tout beurré de tendresse
ému par tes cris de ventre
dont résonne la forêt ténébreuse
qu’envient alanguis de leur belle
le cerf bramant ou l’ours réveillé
je vois tes yeux mon cœur
la flamme rieuse de ta taille menue
que mes mâles mains ceinturent
allongée désirablement nue
sur un tapis d’air et de lune
Seras-tu toujours cette perle
ce souvenir de génie
sous la voûte d’étoiles
de peau et de caresses
de pompes soyeuses
et de buccales délices
où nous berçâmes enfants
toutes les cosmogonies ?
Mémoires trop serrées pour y songer sans doute
car la droite, l’angle, le calcul président aussi aux couples :
les larmes, les déchirements ruinent même les pyramides
et le crêpe lourd ensevelit les enfants les plus beaux
solitude, force, fierté sont compagnes plus fidèles
qu’amoureuse de chair !
Pour seule promesse alors
un amour provençal aux journées belles
à l’azur si profond que les siècles y stationnent
où des avions d’argent ont des murmures d’insecte
où tes pupilles tracent des rayons légers
amour d’un seul été et de simple gaîté
qu’aucun hiver, oncques froidure
sans pâleur ni blessure
ne troublent nos rires clairs !
En bleu de chauffe j’irai
ravauder cordages et filets
je laisserai ma lance
et oyant le tango
je trierai maquereaux et mérous
desserrerai l’étreinte trucide
des étoiles sur les coques
à marée basse
dans de petites flaques
je cueillerai les vers
poilus ou annelés
pour les offrir à la brune venue
à la blonde choisie
à marée basse
les crabes roulent comme des larmes
sur les rides des vieilles femmes
nous ferons le tour de leurs coiffes en tandem
nous les amidonnerons de nos semences
qu’elles rient, qu’elles rient les débris
qu’elles montrent leurs râteliers jaunis
et toute la sombre
végétation de leurs gorges affaissées
En tandem cul et selle
nous jetterons à poignée
au soleil le sel des marais
que de pousses, que de pousses vertes
de grasse salicorne !