Comme ces graines capables de germer
après des millénaires,
la musique invoque en un même présent
un point de capiton
entre des mondes
éloignés dans l’espace, le temps, les subjectivités.
Les protozoaires cillés déjà palpitent d’un rythme propre. A l’oreille du fœtus, le cœur de la mère est la première cymbale,
le premier métronome.
Cadence, contre-cadence, clappe rythmique,
craquètement des bâtons de musique,
une joyeuse troupe préhistorique,
enfants, femmes, nourrissons sur les reins,
frappe l’eau à pleine paume,
poussant le poisson dans la nasse de fibre
premiers rythmes, premiers tempi, premiers chœurs,
équivalent humain des chronicités animales,
des symphonies coassantes,
des vagues stridulantes des cigales,
des concerts perchés des singes alouates,
entre assonance et disonance,
qui ne hurlent pas mais cherchent la musique.
Ces chœurs évoquent dans l’ordre sonore
l’ovulation simultanée
des harem animaux
celle des femmes qui cohabitent
la floraison des bambous partout simultanée
la course parallèle des cerfs en rut
qui en une volte
sublime de synchronie
affrontent leurs ramures.
C’est l’ahan des souqueurs,
contraction et détente alternées,
le répons collectif du souffle à l’arc-boutement des reins sur la houe.
L’animal aussi connaît cette conjonction du labeur et du muscle :
buffle masaï, peuhl, cantonais ou picard à l’arroi,
les yeux mi-clos comme de plaisir ou de méditation,
tandis que le pasteur fredonne sa mélopée et module ses cordes.
Rythme inscrit à la fibre de l’effort et du muscle,
souffle-cri propre à chaque culture,
celui des rameurs abyssins de Montfreid
expirant en cadence.
Danses, rondes, transes accompagnent l’homme
depuis qu’il naît à-lui même,
si lointain héritage qu’il est sans origine.
Longtemps, quand l’homme se nourrissait encore d’effort, de trivial, de sublime,
scurrile et transcendant cohabitaient sous les mêmes calottes de crâne et d’étoiles :
planter, manger, vivre, voir, chanter !
Temps congru à la boucle des jours,
sous la voûte tournante des cieux,
dont le corps est le mètre.
Dans nos villages, sans clocher encore,
le veilleur souffle sa corne pour annoncer l’aube revenue.
Pas d’heures au jour mais des fatigues, des faims, des désirs,
lassitude reposée en mélangeant les corps d’où surgit le futur.
Lors, rien ne saurait éteindre l’épuisement moral de l’homme moderne,
à qui le temps n’appartient plus à force de le compter,
et ne sait plus quel sens a l’existence.